De fêtes en luttes, le festival Everybody au Carreau du Temple aborde le corps contemporain dans ses états de transition, joyeux ou enragés. 

Voici un festival construit en double triplex, avec six spectacles répartis en deux programmes. D’une part, l’espace fête. Et en face, une bâtisse où l’on construit et défend son corps et son identité. Une construction toute à l’image de l’architecture du Carreau du Temple – limpide, lumineuse, généreuse… Aussi Everybody commence en mettant le corps en état de fête, pour mieux l’aborder ensuite comme lieu de batailles. C’est Arthur Perole qui lance les festivités, avec Nos corps vivants, trouvant le DJ Marcos Vivaldi aux platines, de grands bouquets de fleurs, un piano et un cœur « gros comme ça », justement parce que la vie assène bien des blessures. Perole y affronte le sentimental dans toute sa grandeur, sur des ballades qui vont droit au cœur. « Ma vie est guidée par l’amour de la fête et le besoin de vivre de grandes émotions », dit-il en avocat des joies et douleurs populaires.

Mais le triplex festif d’Everybody 2023 s’érige au-dessus d’un sous-sol, et celui-ci est hanté par de drôles d’esprits et leur Onironauta. Deux pianistes, dont la chorégraphe-chanteuse Tania Carvalho, font chavirer l’Etude révolutionnaire de Chopin alors que les habitants d’un espace nocturne incertain déboulent dans tout leur grotesque, traînant avec eux de facétieux vestiges de l’histoire de la danse, entre ballet, butô et même Beckett jadis revu par Maguy Marin dans le fameux May B. Cette ribambelle de facétieux énergumènes fait sa fête, surfant sur les rêves de la chorégraphe qui laisse libre cours à son imaginaire débridé. Si ensuite la soirée enchaîne avec le Happy Hype du collectif Ouinch Ouinch, la folie passe du plateau vers la salle. Cinq fêtards, tout de folie vêtus, se déchaînent sur les vibes de la DJ Mulah et invitent le public à se laisser posséder à son tour, d’autant plus que le jour d’ouverture un DJ set afro et hip-hop est proposé pour une ronde nocturne jusqu’à épuisement. 

Viendra alors le second triplex, où le corps se met à parler sans tabous. Il se rappelle les ébullitions hormonales de l’adolescence et les troubles de l’identité, du désir, de la rage, dans Plutôt vomir que faillir de Rebecca Chaillon, une performance autour de la découverte du corps qui avance vers l’âge adulte, parfois à travers des crises fiévreuses. Plus violent encore : chez certains, les hormones démentent l’apparente appartenance au genre. La performeuse brésilienne Renata Carvalho (sans parenté avec la Portugaise Tania), s’est trouvée l’objet d’une haine violente en son pays. Transsexuelle, elle se trouve malgré elle au cœur de luttes idéologiques meurtrières. Pour se réapproprier son corps, elle le dévoile sur scène faisant d’elle-même l’objet d’une branche personnelle de l’anthropologie. Son Manifeste transpophagique lui permet de s’extraire de la violence des regards. C’est une reconstruction, comme dans les créations d’Eric Minh Cuong Castaing où se rencontrent des corps aux capacités cinétiques très diverses. Dans Forme(s) de vie, les danseurs se métamorphosent en prothèses vivantes pour personnes en perte de mobilité physique. Et les corps empêchés redeviennent virtuoses. On peut repasser à la fête…

Festival Everybody. Le Carreau du Temple, Paris. Du 17 au 21 février 2023

https://www.lecarreaudutemple.eu