À l’Opéra de Lyon, Marcos Morau, dont la compagnie La Veronal enchante toute l’Europe, jette son dévolu sur La Belle au bois dormant

Rares sont les chorégraphes qui n’ont jamais été danseur. Marcos Morau est l’un de ces êtres exotiques, et en plus aujourd’hui l’un des auteurs chorégraphiques les plus demandés sur la scène européenne. Sa touche singulière doit y être pour quelque chose : une écriture précise créant des images qui frappent l’inconscient et s’incrustent dans nos rêves… Ce Barcelonais à la tête de scientifique ou d’architecte est en effet un bâtisseur d’images à la fois concrètes et oniriques, sensuelles et politiques, un créateur de paysages intérieurs habités par le geste abstrait du danseur. À l’instar d’un mirage, des espaces et visions disparates voire contraires peuvent se superposer et se fondre l’une dans l’autre. Et pourtant l’imagerie doucement surréelle de ce transfuge – car parti de la photographie et du théâtre – va toujours s’ancrer dans la réalité du monde. Si Morau a subtilement évoqué des figures emblématiques de l’histoire d’Espagne, de la Pasionaria à Picasso, l’une des premières pièces avec lesquelles il se fit remarquer dès 2011 était Russia, où il abordait les idées et sensations que le vaste pays lui inspirait, avec quelques pensées pour le ballet romantique et sa musique. Tchaïkovski, notamment… Invité par le Ballet de l’Opéra de Lyon à créer une Belle au bois dormant, il part pour la première fois d’une narration et d’une œuvre musicale préexistantes. Et retrouve donc Piotr Ilitch, le grand romantique. Mais il serait étonnant de le voir renoncer à bouleverser les strates du temps, du rêve et du réel, même en travaillant avec quinze danseurs d’un ensemble qualifié comme ballet ! 

On peut compter sur ce subtil déconstructeur des récits dominants pour se laisser guider par les sensations que provoque en lui le conte des frères Grimm (et puis de Charles Perrault). Cela l’intéresse bien plus que l’idée de détailler le déroulement d’une histoire que tout le monde connaît sur le bout de ses doigts et qui a maintes fois été adaptée, au cinéma comme au ballet. C’est plutôt la disparition de la frontière entre le réel et le rêve qui l’attire, car cet élément clé de La Belle au bois dormant se retrouve dans tous les spectacles de Morau. Mais il ne s’agit donc pas d’un spectacle pour les tout-petits car il faut en effet savoir aborder l’histoire de la lutte entre le bien et le mal avec un minimum de recul. Sans forcément plonger dans l’interprétation psychanalytique, dans le sens d’un éveil à la sexualité. Morau cultive bien sa propre vision des motifs et des personnages, comme du geste dansé. Et justement, l’ensemble lyonnais, dirigé par Julie Guibert, a l’habitude de travailler avec les chorégraphes contemporains de tous bords. Ça tombe bien, d’autant plus que La Belle au bois dormant signifie pour la troupe un retour à la pleine vie, après avoir passé la période des restrictions sanitaires en confinement et puis en créant le projet Danser encore, composé de trente solos conçus sur mesure pour les interprètes de la troupe, chacun par un chorégraphe différent, dont bien sûr Marcos Morau. 

La Belle au bois dormant. De Marcos Morau. Avec 15 danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon. Opéra de Lyon, du 15 au 24 novembre. Puis en tournée à l’Opéra de Lille et à La Villette.