C’est l’un des plus beaux spectacles à voir en cette fin d’année, La Vie parisienne dans sa version originale, mise en scène par Christian Lacroix, offre une réinvention éclatante du cultissime opéra sur la scène de l’Opéra royal de Versailles.

LA VIE PARISIENNE – Photo : Vincent PONTET

Certains esprits semblent nés pour se rencontrer. Jacques Offenbach et Christian Lacroix devaient un jour croiser leurs fantaisies outrancières, leur sens du jeu, leurs singulières irrévérences. Peu importe que plus d’un siècle les sépare, le théâtre, règne du présent, abolit cette distance. Aujourd’hui, La Vie Parisienne tombe entre les mains de l’ancien couturier, devenu le réenchanteur du costume lyrique depuis plus de vingt ans, qui signe là sa première mise en scène. Pour ses débuts, il hérite d’une rareté :  la première Vie Parisienne, version à cinq actes, telle qu’elle a été créée au Théâtre du Palais royal en 1866, mais ensuite délaissée au profit d’une version censurée, amputée de son quatrième acte devenue l’officielle. Le Palazetto Bru Zane a permis de retrouver cette version qui, aux dires du librettiste fétiche d’Offenbach, Ludovic Halévy, l’avait rendu « à peu près fou ». A notre tour de juger : cette version-ci permet une variété de chants, un jeu d’acteurs, et un allongement de l’épiphanie finale, qui conjugue cette Vie parisienne en satire marivaudienne qu’elle est. On retiendra notamment le merveilleux air de « Jean le cocher ». Plus que jamais, l’humour des situations, et des dialogues, singe avec verve les manières de ce milieu parisien qui cherche à s’amuser à tout prix.  Car qu’est-ce que ce Paris du XIXème selon Offenbach et Lacroix ? Un « territoire onirique et effrayant » nous dit Lacroix dans sa présentation. Et ce dès l’ouverture, dans la gare, où le jeu autour du baron et de la baronne danoise va commencer, et ne plus cesser. La « vie parisienne » s’ouvre sous les auspices du changement perpétuel d’identités, d’un cosmopolitisme frondeur et d’un piétinement joyeux de la société de classes qui se perpétueront jusqu’au bout du Vème acte. Ce Paris, nous le comprenons dès le premier tableau offert par Lacroix, est aussi une aventure esthétique, « entre la grâce et le grotesque » selon le metteur en scène. Ainsi, au gré d’un décor qui se réinvente d’acte en acte en vastes cabinets de curiosités, ou de moments chorégraphiques ou clownesques, nous est offerte une traversée d’un monde flamboyant, à mi-chemin du cirque et du conte de fées.

Entre Ingres et Toulouse-Lautrec

Lacroix sait avant tout mélanger les genres. Tous les personnages sont maquillés en clowns blancs, pour passer d’un personnage à l’autre, et d’un univers à l’autre. Et laisser voir le costume, véritable pivot du spectacle car Lacroix offre à chacun des personnages, aussi brefs soient leurs existences, des tenues exceptionnelles. Car il faut se changer vite sur scène : dans le Paris d’Offenbach, l’amiral est valet de chambre, la comtesse est gantière, et le bottier, général. Dans cette ville, les ambitieux séduisent les baronnes, les baronnes détroussent les gigolos, et la foule célèbre ce marivaudage élevé au rang d’art.

 Ainsi, nous sommes tantôt du côté d’Ingres et d’un Second Empire finissant et de la rue de Toulouse-Lautrec. Se croisent sur scène les robes somptueuses des femmes de la haute-société, le riche goût de l’uniforme, l’orientalisme et les couleurs affriolantes du french-cancan et des Parisiennes des halles.

Que retenir ? Le costume d’or de celui qui vient tout dépenser à Paris ? Les manteaux en fourrure du baron et de la baronne danois ? Les costumes persans, gitans, mongols, russes, des foules cosmopolites qui traversent la gare du premier acte ? Chaque détail a son importance, et l’on se souvient de ce que Christian Lacroix nous disait un jour, qu’il pensait le moindre détail, jusqu’à la matière de chaque bouton, pour le premier rang, et peut-être pour lui-même. Il est en cela semblable en metteur en scène, travaillant chaque instant, par un tableau, une chorégraphie, ou un jeu de théâtre. Sur scène, les chanteurs sont tous acteurs : Marc Mauillon, en Bobinet très contemporain, devient le délicat maître d’œuvre de l’ensemble. Et l’on ne se lasse pas de reconnaître en lui l’un des ténors les plus fins aujourd’hui. Quant au reste de la distribution, on attend Marie Perbost en baronne, et Marine Chagnon en Metella, Florie Valiquette, qui connaît bien l’opéra, nous offrira sa Gabrielle…A la baguette, Victor Jacob, « révélation chef d’orchestre 2023 », se lancera dans ces plus de trois heures de musique avec l’orchestre et le chœur de l’Opéra royal ( et l’on sait comme le chœur marque les montées en puissance de La Vie parisienne).

Tout cela pour donner vie à ce que Christian Lacroix désigne comme un « mirage », le rêve d’un Paris et d’un style qui n’ont jamais existé, si ce n’est dans le scintillant imaginaire d’Offenbach.

La Vie parisienne, de Jacques Offenbach, direction musicale Victor Jacob, mise en scène Christian Lacroix, Opéra Royal de Versailles, du 27 décembre 2025 au 4 janvier 2026