En coproduction avec le Festival d’Automne et la Philharmonie de Paris, Le Balcon poursuit le cycle Licht de Stockhausen et vient de présenter en représentation unique, Montag aus Licht (Lundi de lumière) sous la direction de Maxime Pascal et dans la mise en scène de Sylvia Costa. Retour sur un évènement

Dans ce cycle auquel Karlheinz Stockhausen consacra vingt-cinq années de sa vie, de 1977 à 2003, Montag aus Licht représente le jour d’Ève, mère cosmique de l’humanité. Dans l’acte I, sur une plage, une immense statue d’Ève enfante quatorze créatures mi-garçons, mi-animaux, tandis que Lucipolype aux deux visages, avatar de Lucifer, surgit pour insulter l’humanité entière. Dans l’acte II, des jeunes filles entrent en procession et louent Ève pour qu’elle engendre et fonde un nouveau paradis des enfants. Elle donne naissance à sept garçons, dont chacun apprend le chant de son jour de la semaine. « Le Cœur », incarné par une joueuse de cor de basset, joue avec les enfants, démultiplié en quatre, accompagné de quatre chœurs qui les envoûtent. Dans l’acte III, « Le Cœur» rencontre son double, Ave et tous deux entonnent un duo. Avec charme les enfants les entraînent. Leurs voix s’évaporent dans les nuages, se muent en chants d’oiseaux. Quant à Ève, elle devient une vieille montagne au creux de laquelle les oiseaux viennent se nicher.

Pour cette célébration de la naissance et cet hommage à la figure maternelle, la mise en scène de Sylvia Costa demeure fidèle à l’imaginaire de Stockhausen, qui associe à ce jour la couleur verte et la Lune comme corps céleste. Robes d’Ève, costumes des jeunes filles en procession, habits des trois marins célébrant la naissance des créatures hybrides : tout s’accorde à cette palette. La lune, omniprésente, se déploie dans les vidéos projetées au fond de la scène, tout comme différentes silhouettes dessinées par les nuées d’oiseaux, annonçant la dernière scène. Les créatures hybrides, Lucipolype, les poucettes — dont le ballet est admirablement réglé et exécuté — et les autres figures semblent sortir d’un conte ; leurs mouvements précis, ludiques et colorés, font parfois oublier la complexité vertigineuse de l’écriture musicale. Les bruits de bombardement, de tirs et d’horreurs de la guerre, ainsi que « l’envoûtement et la promesse d’une extase amoureuse », passent souvent inaperçus dans ces aspects joyeux, alors que l’opéra tout entier est conçu comme un jeu d’enfants au temps de la guerre. L’émerveillement domine, propice à la célébration de la vie. Et tout cela se déroule sous le regard d’Ève, femme enceinte juchée au sommet d’un phare d’où naissent créatures et enfants : une représentation d’une grande élégance de la statue de la mère de l’humanité, pourtant censée se présenter « en position gynécologique ».

Parmi les interprètes, tous d’une virtuosité remarquable, citons les trois chanteuses qui incarnent Ève (Michiko Takahashi, Marie Picuat et Clara Barbier), le Cœur (cor de basset, Iris Zerdoud) et Ave (flûte, Claire Luquiens), qui jouent de leurs instruments en chantant et en intégrant à leur jeu une véritable chorégraphie. Mentionnons également la percussionniste Akino Kamiya, qui devient un personnage à part entière dans l’acte III. Maxime Pascal dirige depuis la coulisse les cinq chœurs et l’« orchestre moderne » de trois synthétiseurs, dont la préparation impressionne par son ampleur.