Rencontre avec Thomas Ostermeier qui présente au Festival d’Avignon Le Canard Sauvage. Nouvelle mise en scène d’Ibsen pour le metteur en scène allemand qui ose une pièce sur une famille bouleversée par l’irruption d’une vérité, non désirée.

Ce jour-là, les acteurs de la Schaubühne et Thomas Ostermeier travaillent sur la honte ; celle qui plane sur la famille Ekdal, depuis que le grand-père est passé par la prison ; celle qui cloue son fils, Hjalmar, sur son canapé chaque après-midi à rêver de prochaines inventions et à une « mission vitale » qui le sortirait de sa torpeur, lorsqu’il devrait rejoindre l’atelier de photo où sa femme s’active ; celle qui assombrit la vue de la petite Edvig, adolescente retenue dans l’appartement entre ses deux parents et le vieux Ekdal revêtant l’uniforme après quelques verres ; celle que va infiltrer dans cette famille Gregers, l’ancien ami issu d’une riche famille, souffrant d’une « fièvre d’une probité aigue » qui l’appelle à vouloir sortir à tout prix les Ekdal de leur « marécage ». Comme toujours chez Ibsen, les personnages sont tributaires d’un sombre passé qui détermine leur existence.  Voilà donc Gregers qui s’installe dans leur appartement, gagne la confiance d’Hjalmar, jusqu’à lui révéler une triste et inutile vérité. Le Canard sauvage avance en tragédie, la mort est annoncée dès les premières scènes, il s’agira de deviner lequel de ces personnages luttant avec ses démons, cédera au désespoir. Nul hasard qu’Ibsen ait été le maître d’Ingmar Bergman, tant ici les êtres, même en cherchant à s’aimer ou se sauver, se détruisent. Les Ekdal s’offrent à nous en déshérités, reclus dans le rêve d’une vie perdue qu’ils rejouent dans leur grenier. Là, le canard sauvage : bête blessée à la chasse que la famille a soignée et qu’elle traite comme une poule aux œufs d’or. Bergman, mettant en scène la pièce en 1972, près d’un siècle après sa création, avait choisi de placer le grenier au-devant de la scène, recentrant cet univers inquiétant dans ce lieu de l’enfance et du non-dit, où une catastrophe se prépare, que l’illusion peinera à apaiser. Thomas Ostermeier, dont le sens de l’étrange s’exprimait, notamment dans sa dernière mise en scène du Roi Lear, et dont on sait l’intérêt qu’il nourrit pour Ibsen qu’il monte depuis plus de vingt ans, s’attelle dans cette pièce à approcher ce qu’il qualifie de « profondément énigmatique ».  Le Canard sauvage s’avère une des pièces les plus troubles du dramaturge norvégien, tant elle condamne tous ses personnages, à l’exception d’Edvig et Gina, à ployer sous le poids d’une vérité simple, et insupportable.

Vous revenez à Avignon avec Le Canard sauvage d’Ibsen, treize ans après y avoir présenté L’Ennemi du peuple. Quel sens cela a-t-il pour vous de remonter Ibsen à Avignon ?

Quand on a monté L’Ennemi du peuple, c’était une pièce qui appelait à défendre la vérité, menacée par des intérêts économiques, publics et politiques. Ce que j’aime chez Ibsen, c’est qu’il peut ensuite écrire Le Canard sauvage, qui prône le contraire et met en question le concept de la vérité.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le numéro de Transfuge spécial Festival d’Avignon, distribué sur place, pendant le festival

Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier, Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon, du 7 au 16 juillet.