Phénomène mondial, JR fait l’évènement de l’été avec son exposition chez Perrotin à laquelle participera son complice et ami Thomas Bangalter. Rencontre exclusive en avant-première avec un homme à la fois ouvert et secret, refusant en règle générale le jeu de l’interview.

Les bancs publics. Un restaurant de quartier au bord du canal de l’Ourcq. Le dialogue au comptoir est une mise en bouche du déjeuner qui va suivre. Je m’annonce : « J’ai rendez-vous avec JR, j’imagine qu’il a réservé une table ». Un premier employé du restaurant hausse les épaules : « JR ? Le type des collages ? Jamais vu ici. Vous pensez bien qu’avec son look, je l’aurais reconnu au premier coup d’œil ». Une jeune femme se penche alors sur le cahier des réservations : « J’ai bien un Jean-Marc, un Jean-Pierre mais pas de JR ». Le plus jeune des serveurs, le plus tatoué aussi, s’exclame : « JR ? Vous voulez dire le JR, la star du graff ? Le copain de Bansky ? Le type qui fait des trucs incroyables aux quatre coins de la planète ? Je peux vous dire qu’il a jamais mis un pied ici sinon j’aurais eu un choc ! » JR rockstar. On me place un peu à l’écart de l’agitation sonore, tout au fond de la salle, avec vue sur l’ardoise du menu et sur la rue lorsque se dirige vers ma table un grand type mince et chauve au crâne poli comme un galet, à la démarche de félin souple, jeans noir et blouson de toile de la même couleur sombre, sneakers blanches au pied. Je ne percute pas jusqu’au moment où je distingue dans sa main droite un chapeau et dans sa main gauche les lunettes noires. Le célèbre chapeau. Et les fameuses lunettes noires. Un grand sourire précède une poignée de mains. Le voici assis en face de moi, heureux de voir que je suis tombé dans le panneau comme l’équipe du restaurant, devant son vrai déguisement : lui-même au naturel. L’artiste aux millions de vues sur Instagram, aux coups spectaculaires très médiatisés, fait l’inverse de ce que font d’habitude les célébrités s’abritant derrière des lunettes noires paravents. Le look façonné tout jeune (« pour éviter d’être reconnu et coursé par les flics lorsque je taguais »), me disait quelque chose. Quelqu’un quelque part dans un autre temps, sans doute. Mais qui ? 

   Le lendemain de notre rencontre, j’avais rendez-vous avec Brigitte Bardot pour un projet. Nous regardions une photo d’elle avec Godard sur le plateau du Mépris et j’avais soudain eu un flash lorsque l’ultime monstre sacré du cinéma m’avait dit : « celui-là, il ne quittait jamais son chapeau et ses lunettes noires, peut-être même pas pour dormir ». JR-JLG, mêmes panoplies qui ont aussi participé à l’érection de leur célébrité, comme on érige une statue de son vivant. Phénomène planétaire, JR se masque pour être vu, ne baissant la garde que lorsqu’il recherche l’anonymat à l’extérieur et bien sûr avec ses proches – sa femme, l’artiste Prune Nourry, leurs fils, leurs amis et collaborateurs. Bien que la quarantaine passée, JR possède le visage juvénile de celui qui n’a jamais ni fumé ni hélas bu. Le citron chaud au miel confirme mon intuition : « Les murs en rappel, les escalades de nuit sur des toits, les sauts d’un bâtiment à l’autre, tous ces exercices très physiques ne sont pas compatibles avec l’alcool. Je ne voulais pas me retrouver par-dessus bord et terminer ma vie en morceaux sur un trottoir. Mon alcool c’est l’adrénaline des projets, je ne sais pas rester en place. Pour moi, l’art, c’est d’abord du mouvement ». Je songe aux derniers mots de Gogol sur son lit de mort : « une échelle, vite une échelle ! »

Retour du Bhoutan   

Là, JR est en plein jet-lag. Pas de nouveaux collages monumentaux, comme il le fit (entre autres) à Montfermeil, sa ville natale, sous émeutes (cuvée 2005), dans une favela de Rio réputée pour ses sanglantes batailles rangées entre sicaires, comme il le fit aussi dans la cour d’une prison californienne de très haute sécurité avec en guest-star un type prénommé Kevin au visage tatoué d’une croix gammée (et qui le regrette). Non, plus paisiblement, mon vis-à-vis rentre du Bhoutan, qu’il a parcouru avec quelques proches dont l’architecte danois Bjarke Ingels, sans projet précis en ce qui le concerne, « juste pour voir ce qui s’y passe ». Une exploration à pas plus lents, comme pour humer l’air local et peut-être y revenir avec un plan d’attaque qui, une fois de plus, surprendra la planète. « On était tout un groupe d’artistes réfléchissant à plein de choses, et pour ça le Bhoutan offre une approche de la vie vraiment inspirante. C’était un choc de belles énergies ». JR vit depuis quatorze ans dans le quartier de Soho, à Manhattan. Il est en Europe pour plusieurs raisons :  la supervision à Paris du début des travaux de son nouveau lieu de travail, une ancienne imprimerie à deux pas des Bancs publics. Il devait ensuite aller à Florence pour l’inauguration de son intervention sur la façade de la gare centrale de Milan, un trompe-l’œil géant jouant avec l’espace d’une façon spectaculaire comme il en réalisa entre autres une au pied de la pyramide du Louvre, puis direction la Biennale de Venise et la découverte du wagon du Venise-Simplon Express relooké par lui, et arrimé sur une barge au milieu des flots. 

   Dans un mois, il sera à nouveau à Paris pour le vernissage que lui consacre la galerie Perrotin. Un tourbillon, une force centrifugeuse que ce chef d’entreprise employant respectivement douze personnes à Paris, sept à New York, sans compter une poignée au Brésil et quelques-uns encore dans son restaurant solidaire étoilé situé sous l’église de la Madeleine… 

Quand Perrotin rencontre JR

Mais revenons à Perrotin et JR ou l’histoire d’un coup de foudre made in China : « Je venais de m’installer à New York en 2010, m’explique-t-il en dégustant son lieu noir, lors qu’Emmanuel Perrotin m’a contacté parce qu’il avait découvert une de mes photos géantes en Chine alors qu’il roulait sur une autoroute. Au milieu d’une centaine d’immeubles, il avait aperçu un petit réservoir d’eau sur lequel j’avais collé. Tout excité, il m’a appelé dans la foulée : « j’ai tout de suite deviné que c’était toi et je me suis dit : si on reconnaît son œuvre juste par l’image, sans qu’il n’y ait rien à écrire dessus, c’est que ce mec a un truc, il faut que je le rencontre ». Cette vision éphémère en Chine a été le déclic. Il est venu me voir à New York et m’a convaincu d’exposer chez lui alors que j’étais lié à de grandes galeries – Pace, Lazarides où m’avait fait entrer Bansky, – … Emmanuel est très fort pour convaincre ».  

Lire l’article complet disponible dans le N°177 en version numérique et en commande

JR, Dans la lumière du 6 juin au 27 juillet à la Galerie Perrotin Paris Turenne