À la Colline, la jeune metteure en scène et autrice Pauline Haudepin présente Painkiller, une fantaisie dystopique où l’absurdité du monde reflète des fantasmes pluriels. 

À peine entré dans la salle, le public est confronté à sa propre image. Le dispositif bi-frontal imaginé par Pauline Haudepin, sortie de l’École du TNS en 2017, oblige les spectateurs, à se faire face et à aborder l’objet théâtral qui va lui être proposé sous le regard de l’autre. Cette mise en espace n’est pas anodine, bien au contraire, elle rappelle que l’humain ne s’est pas encore totalement substitué à l’intelligence artificielle qui s’invite de manière tentaculaire dans toutes les strates de la société et notamment dans notre rapport à l’autre. Souhaitant dénoncer cette ingérence virtuelle dans nos quotidiens, l’autrice, comédienne et metteuse en scène convoque, non sans un humour pince-sans rire, chatGPT et l’invite de façon détournée à débuter le spectacle. L’adresse est brève, métallique. Elle rompt le silence et sert de préambule à la performance de Painkiller (malicieux Mathias Bentahar), clown qui fait des shows confidentiels tous les soirs afin d’absorber les peines et les douleurs de ses fans. 

Rien ne se passe comme prévu. L’artiste n’est pas au rendez-vous. Il a été kidnappé par le président déchu d’un grand club de football (impassible John Arnold), cible de tous les quolibets et injures. Riche industriel dont les magouilles ont été divulguées par la presse, il est certainement l’homme le plus haï du moment. Pour en finir avec sa solitude, même sa fille ne veut plus rien avoir à faire avec lui, avec cette haine qui lui colle à la peau, il n’a rien trouvé de mieux que de séquestrer le jeune homme dans sa salle de bain. Bouffon du roi, sa seule mission est de le faire rire à tout prix. C’est évidemment peine perdue. Toutefois malgré les contraintes, le spleen qui coulent dans leurs veines, une forme de complicité fait jour entre les deux hommes. 

Imaginant de multiple récits qui commencent tous par « C’est l’histoire de… » , Pauline Haudepin déploie une écriture singulière qui se nourrit d’une forme de réalisme magique, dont elle se revendique adepte. Onirisme noir, banalités absurdes, saillies faussement drolatiques qui tombent dans les eaux polluées et mortifères d’un lac imaginaire, l’univers fantasmé par l’artiste se nourrit de multiples sources. S’il ne s’écroule jamais, il laisse parfois les spectateurs sur leur faim. Du talent, il y en a, à n’en pas douter, mais faute d’être dompté, il s’égare par instants autant qu’il promet. 

Painkiller de Pauline Haudepin, à La Colline, du 6 au 30 mars