Dans son nouveau solo, Dana Michel suspend le genre, le temps et le sens. Créé au festival Kunsten, Mikepart du travail pour ouvrir les portes de l’intime et sera une des belles surprises du festival Montpellier Danse.

Mike accumule. Les tâches, les tenues de travail, les outils, les métiers… Déplace des portiques, installe des stores, transporte des objets, réfléchit souvent mais sans résultat tangible et s’installe finalement sur des rouleaux de moquette. Sa coupe de cheveux, ultracourte et circulaire, est très en vogue chez les jeunes mâles des quartiers populaires. Mais autour de cet ouvrier-poète se crée une aura de doute et de douceur qui laisse songeur. Rien de mieux que Bruxelles, capitale du surréalisme, et un lieu nommé MAD, pour la création de ce solo. Bien sûr, Mike n’est pas fou mais juste dans un état de flottaison, laissant ses tâches en suspens, et le public avec. Alors que faire quand il disparaît pour s’affairer ailleurs et réapparaître on ne sait où ? Certains le suivent, d’autres décident d’attendre son retour et se donnent en spectacle, sans rien faire. 

Parfois quand Mike se change, il se révèle en femme. Certes, tout le monde savait que Mike est Michel, en l’occurrence Dana. Mais la Québécoise est si authentique dans son état entre le masculin et le féminin que toute personne non informée se laisserait prendre au jeu. Sauf que là n’est pas le but de Mike. Si une journée de travail n’est pas forcément le cadre ni le point de départ auquel on s’attendrait chez Dana Michel, son personnage détourne ce quotidien-là, ses règles et sa souffrance intime. Ce faisant il provoque quelques rires et remet en cause toute notion de sens d’une machine bien huilée nommée travail. Et Dana Michel sait de quoi elle parle, ayant fait carrière dans le marketing avant de se tourner vers la performance chorégraphique. Cette expérience se mêle aujourd’hui à sa réflexion sur notre monde qui est, bien plus qu’on ne le croit, soluble dans celui des affaires. 

Révélée en Europe par des festivals comme Montpellier Danse et le Kunsten Festival des Arts de Bruxelles qui accueillit la première de Mike, Dana Michel change de cap mais poursuit son enquête sur l’intime et l’humain à la recherche de son authenticité, face aux identités féminines assignées et aux censures inhérentes à chaque rôle. Dans ses solos, elle est passée par des enquêtes sur son identité sexuelle (Cutlass Spring) et ses héritages culturels (Mercurial George) pour amener aujourd’hui ces réflexions vers une interrogation sur « ce qu’on ose — ou pas — exposer de soi » face à un regard normatif, pour le détourner et y échapper trois heures durant, permettant au public de sortir pour une pause cigarette et de revenir, comme dans n’importe quelle entreprise. Si trois heures, c’est court pour une journée de travail, c’est long pour une performance en solo. Ici les temporalités se mélangent, créant un nouveau rapport à la durée, indéterminée. Aussi Dana Michel pose un acte de résistance à l’accélération généralisée et aux obligations de productivité. Si une représentation de Mike dure trois heures, les recherches ont pris trois ans, comme pour chaque création de Dana Michel. Et cette anti-productiviste sur le chemin vers soi produit du sens. Beaucoup même. 

Mike de Dana Michel. Montpellier Danse 2023. Les 3 et 4 juillet.