Au Théâtre public de Montreuil, Baptiste Amann propose  Jamais dormir, un spectacle jeunesse intelligent et épique qui a vu le jour l’an dernier dans le cadre du festival Cité-Odyssées organisé par le Théâtre de Sartrouville. 

Dans le dortoir d’un orphelinat, Thalia, une fillette de huit ans, se bat avec ses rêves. Juchée sur son lit mezzanine, avec ses lunettes de plongée et sa chapka polaire, rappelant les casques d’aviateur, vissée sur la tête, elle se prépare à affronter, comme tous les soirs, la nuit noire. Loin du monde des adultes, cette enfant de la DDASS s’est construit un univers imaginaire pour fuir les durs aléas du quotidien. Il ne faut pas lui en conter. Elle a déjà malgré son âge, bien vécu. Elle connaît la dure loi du réel, l’abandon, le ballottage d’un foyer à l’autre. Le verbe haut, la verve prolifique, elle n’a pas sa langue dans sa poche. Afin de se protéger de cet extérieur qui lui fait peur, la met à l’écart, elle trouve refuge dans une imagination débordante. Refusant de sombrer dans le sommeil par crainte de baisser la garde, la fillette s’est inventée un double aventurier. Quand les autres s’endorment, que le silence envahit couloirs et chambrées, elle transforme son lit en vaisseau spatial et vogue jusqu’au petit matin vers d’autres contrées. Dans son univers fantasmé, ses peluches se muent en copilotes, en monstres hostiles, en extraterrestres alliés, ou en divinités à sauver. N’ayant pas froid aux yeux, rien n’arrête Thalia. Toujours victorieuse, chaque nuit, elle gagne un peu de la liberté dont elle se sent priver le jour.

Pour sa première incursion dans le théâtre jeunesse, l’inventif Baptiste Amann s’est inspiré de son quotidien. Père de deux enfants, il est parti de leurs angoisses, l’un est convaincu de dormir les yeux grands ouverts et l’autre que dormir n’a pas de sens, pour ébaucher une fable où s’entremêlent récits homériques, péripéties improbables et douloureux retours à la réalité. Par goût de la simplicité, l’auteur et metteur en scène choisit le style direct, l’adresse au public. Utilisant un langage coloré, vivant, il fait mouche, séduit petits et grands sans pour autant céder à la facilité de contrefaire l’enfance. 

 Pour porter ce texte tout en énergie loquace, cette odyssée mentale foisonnante, Baptiste Amman a fait le choix d’une comédienne hors-norme, une artiste dont la démesure est en parfaite adéquation avec ce projet fou, écrire non pour les petits, mais comme si c’était eux qui s’exprimaient : Thalia Otmanetelba. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais il va falloir le retenir. Sortie de l’école du TNS en 2016, elle a déjà joué pour Thomas Jolly, Rémi Barché et Mathieu Bauer. Et ce n’est que le début. Il suffit de la voir au plateau pour ne plus en douter. Brisant le quatrième mur avec une incroyable aisance, elle parle aux plus jeunes, se moque gentiment des fortes têtes et entraîne dans son sillage les spectateurs pantois. Inénarrable, impétueuse et rebelle, la petite fille de huit ans, cachée au plus profond de son être, irradie littéralement la scène. 

Jamais dormir de Baptiste Amann. Théâtre Public de Montreuil, du 6 au 10 février