Seul Emanuel Gat, mélomane et iconophile, pouvait avoir l’idée de créer une comédie musicale à partir des songs de Tears for Fears. Le Lovetrain2020 roule à Chaillot ! 

« Mad world » : Le monde est fou. Ainsi chanta Curt Smith en 1983 et son tube fonda la célébrité du groupe Tears for Fears. La vidéo originelle montre le chanteur, enfermé dans un pavillon de verre, refuge et asile dans un monde qui ne tourne plus rond. « Everybody wants to rule the world », accuse-t-il et conclut : « Shout shout, shout it all out ! » Aurait-il imaginé qu’un jour les songs de Tears for Fears seraient le ciment musical d’une « comédie musicale contemporaine » , comme l’appelle Emanuel Gat? L’appellation sied parfaitement à Lovetrain2020, et on y soulignera « contemporain », pour la liberté que cela confère, permettant de mélanger les styles et les époques sans avoir à suivre des fils narratifs continus. De toute façon, il n’y en a jamais eu chez Gat qui crée à partir du groupe et de partitions musicales, d’espaces et de gestes. Ici s’ajoutent les opulents costumes, un brin baroques, hauts en couleurs, tous créés par Thomas Bradley que l’on connaît avant tout comme danseur dans la compagnie Emanuel Gat Dance. Mais les talents multiples ne sont pas rares dans la compagnie, Gat étant aussi photographe et signant parfois les musiques de ses créations. Pas cette fois. Sur le hit-parade d’il y a quarante ans, il enchaîne des tableaux qui jouent avec tous les codes. Le bal à la cour, des motifs iconiques de la danse – qu’elle soit classique, postmoderne ou contemporaine –, de péplums, de légendes, contes de fées etc. 

L’ensemble forme, en effet une sorte de comédie musicale, cohérente dans ses fils émotionnels et cinétiques. Quant aux images qui ont l’air de citer certains moments de l’histoire de la danse, Gat dit ne pas en avoir introduit volontairement. Ce sont plutôt les fantômes de siècles d’histoire culturelle occidentale – mais aussi de son exotisme latent – qui surgissent de l’inconscient. « Je suis le premier à m’en étonner », dit-il alors qu’on ne s’en étonne à peine, le sachant très sensible à la composition visuelle. Sous des lumières tamisées, autre talent du chorégraphe ici mis au grand jour, apparaissent des tableaux très animés, en grands ou petits groupes, duos et solos, ce qui veut dire que Gat adopte ici un modèle narratif classique. Il s’en approprie l’énergie et le rythme, invitant le spectateur à superposer les images créées sur scène à celles qui dament sa propre mémoire. Ou bien à se laisser emporter par le flux, l’énergie, les émotions et les micro-histoires qui renvoient aux grands récits, entre passion amoureuse, amitié, rivalité, héroïsme dans tous les registres du « bigger than life » de Hollywood à Bollywood. Mais tout parallèle entre la fresque néo-baroque de Gat et la comédie musicale habituelle s’arrête là, car Gat a l’intelligence de ne pas illustrer la parole chantée, même pas quand Curt Smith chante son fameux « Come on, I’m talking to you, come on… » Un dernier bal, et un rappel à l’absolu : « Nothing to lose, nothing to give ». Emanuel Gat livre un revival musical qui joue de tous les registres visuels et chorégraphiques. 

Lovetrain2020 d’Emanuel Gat. Chaillot Théâtre National de la Danse. Du 13 au 19 octobre