Lorsque la musique baroque et l’électro-acoustique se mêlent, c’est la naissance d’un petit bijou d’opéra contemporain : Dafne de Wolfgang Mitterer. La création mondiale vient d’avoir lieu à l’Athénée.

C’est une plongée dans l’amour que nous offre Wolfgang Mitterer dans sa nouvelle création. Tout d’abord par la passion d’Apollon pour la nymphe Daphné tel que nous le raconte le livret, d’un lyrisme soutenu, du poète baroque Martin Opitz. Passion qui poussa la pauvre innocente à se transformer en arbre pour échapper aux assauts de l’impétueux ( solution pour le moins radicale, qu’Aurélien Bory fait vivre au plateau avec une intelligence scénique constante, à mi-chemin de l’abstraction et du chorégraphique, nous en reparlerons). Mais c’est avant toute chose l’amour de la musique, de son patrimoine, qui s’exprime dans ce
Dafne. Le compositeur contemporain livre un hommage virtuose et personnel au père de la musique allemande baroque : Henrich Schütz. Le pari à l’origine de cette création mondiale s’avérait pour le moins audacieux : partant d’un opéra fantôme, le Dafne de Schütz, qui a été sans doute, nous apprend le programme de salle, le premier opéra de langue allemande, avant que la partition ne brûle pendant l’un des incendies de Dresde, Mitterer réinvente l’oeuvre, en la plaçant entre baroque et contemporain. Ainsi conçoit-il un lieu suspendu et fabuleux où les citations de Schütz croisent la musique électro-acoustique de l’Autrichien. Le résultat est tout en délicatesse, car jamais cette rencontre des deux musiques ne semble heurtée ou artificielle, notamment grâce aux douze chanteurs des Cris de Paris qui passent d’un registre à l’autre avec une grande souplesse, dans la précision de ce spectacle extrêmement travaillé. Mitterer qui a déjà exploré ce dialogue entre musique ancienne et répertoire contemporain, offre donc à ce Dafne un art de la métamorphose constant. Mais au-delà de la partition, le spectacle dans son ensemble fait preuve d’une rare cohérence : la mise en scène d’Aurélien Bory- disons mise en espace, non pas par préciosité mais par justesse, tant l’artiste transforme à vue d’œil le plateau, l’animant, le réduisant ou l’agrandissant, offrant à chaque scène de nouvelles perspectives, permet à la musique de Mitterer, menée par Geoffroy Jourdain dans la fosse, de déployer ses nuances. A croire que ces trois-là devaient se rencontrer autour du fantôme de Schütz, et peut-être d’Ovide, premier à nous raconter l’histoire de Daphné, la nymphe qui préféra se réinventer pour l’éternité que se perdre dans les bras d’un dieu. Inlassable métaphore d’un art qui pour survivre doit se transformer…Mitterer et Bory ont su saisir au plus près un mythe qui ressemblait à leur propre conception de l’art. Et nous voilà face à une Dafne démultipliée par les voix des chanteurs, habitant la scène de l’Athénée avec la grâce et la liberté d’une contemporaine, ancrée dans le rêve baroque.

Dafne, de Wolfgang Mitterer, direction musicale Geoffroy Jourdain, mise en scène
Aurélien Bory, Théâtre de l’Athénée, jusqu’au 5 octobre
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