Bertrand Chamayou vient d’enregistrer l’album Vingt regards sur l’enfant Jésus et jouera la Turangalîla-Symphonie à la Philharmonie en septembre. Rencontre avec un grand pianiste, passionné par la musique de Messiaen.

Vous êtes actuellement dans un compagnonnage constant avec Olivier Messiaen, que ce soit dans votre album Vingt regards sur l’enfant Jésus, comme dans ce prochain concert à la Philharmonie, où vous interpréterez la Turangalîla-Symphonie que vous venez de jouer à Aix-en-Provence avec l’orchestre de Paris, sous la direction d’Esa-Pekka Salonen. Comment s’est passé cette première ? 

C’était assez émouvant puisque la symphonie a été créée en France à Aix en 1950, qui était à l’époque un jeune festival. Nous l’avons joué dans une atmosphère électrique. Et c’était la première fois que je jouais avec Esa-Pekka Salonen, je l’ai connu très jeune, neuf, dix ans, justement par le disque, de la Turangalîla-Symphonie. Je crois à la destinée, que l’on devrait jouer ensemble. C’était très fort pour moi, que ce soit sur cette œuvre-là. C’est quelqu’un qui approche Messiaen dans une lignée d’héritage, presque romantique, dans la continuation d’une tradition musicale. Moi aussi, je conçois Messiaen ainsi, plus que dans une avant-garde qui a pu faire preuve d’une certaine sécheresse, avant-garde qui m’intéresse beaucoup, mais j’ai toujours perçu dans la musique de Messiaen, un certain lyrisme et sensualité. 

Est-ce une approche inédite de Messiaen ? 

Longtemps, il y a eu des tabous autour de la sensualité de Messiaen. Il y a eu un malentendu autour de lui, notamment parce qu’il a lui-même été influencé dans les années cinquante, soixante, par une musique plus radicale. Souvent les interprètes le jouent de manière anguleuse, saccadée. Alors que je crois qu’il a un côté néo-romantique, foisonnant, coloré. C’est une musique à la fois complexe et simple, c’est très intense, et en même temps, ce qui sous-tend l’ensemble, c’est une grande ligne romantique, presque enfantine, qui se cache derrière le côté théoricien. La grande puissance de cette musique, c’est que l’architecture est universelle. A la première écoute, le chaos est sous-tendu par un ensemble très évident. Les gens sortent transcendés par cette musique. Esa-Pekka et moi on a voulu mettre en avant la lumière de Messiaen. Il n’y a pas de mélancolie dans cette musique.

Vous avez beaucoup interprété Liszt, désormais Messiaen, cherchez-vous de plus en plus de complexité dans les œuvres que vous interprétez ? 

J’aime bien le risque dans ma vie, à tous niveaux. J’aime proposer des créations, parfois réputées ardues. J’aime les épopées musicales. Quand j’étais adolescent, j’adorais l’idée de me plonger dans une œuvre, pour l’endurance, comme j’ai lu La Recherche du temps perdu ou l’Odyssée. Par Les Vingt regards, j’ai l’impression de passer par de multiples paysages. Lorsque j’ai fait l’intégral Ravel, ce n’était pas pour impressionner la galerie, mais j’ai toujours l’impression de m’exprimer mieux dans la durée. Le récital classique m’ennuie, il y a un côté mignardises, j’ai besoin de choses qui bousculent : les Liszt, c’était trois heures. Messiaen, c’est deux heures et on est embarqué dans un univers de la première à la dernière note. 

Dans votre album, vous avez choisi d’encadrer les Vingt regards, par des œuvres plus contemporaines, Murail, Kurtag ou le très beau morceau d’Anthony Cheung…Etait-ce pour replacer Messiaen dans une constellation contemporaine ? 

Ce sont des pièces que j’avais déjà jouées, notamment Le Tombeau de Messiaen de Jonathan Harvey. J’ai découvert la pièce d’Anthony Cheung, sur le site de l’Ircam, c’est une pièce de jeunesse, que j’ai mise en ouverture. Ce sont des compositeurs que j’aime énormément, j’ai parlé avec Murail d’une éventuelle collaboration à venir, j’ai travaillé avec Kurtag, Anthony Cheung va m’écrire un concerto, donc j’en suis ravi. 

On a souvent parlé du « sourire » de la musique de Messiaen, lorsque vous le jouez, est-ce aussi pour vous une source de joie ? 

C’est plutôt une forme d’extase, de transcendance, qui ne s’exprime pas en moi de manière religieuse, il y a une forme de transe que j’atteins, je parviens à être hypnotisé par la musique que je joue. Comme les alpinistes doivent être possédés pour pouvoir parvenir au sommet, la musique agit en moi doublement, à l’écoute et à l’interprétation. 

Turangalîla-Symphonie. Orchestre de Paris, Esa-Pekka Salonen / Bertrand Chamayou, Philharmonie de Paris, les 14 et 15 septembre.

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