Au Théâtre-Studio d’Alfortville, Christian Benedetti présente enfin dans son intégralité l’œuvre du dramaturge russe, un rêve qui lui tient à cœur depuis le conservatoire. Intitulé 137 évanouissements, ce marathon tchekhovien conclut onze années de travail et une vie de passion. 

Installé depuis 1996 dans un ancien entrepôt de vin, le Théâtre-Studio, fondé par Christian Benedetti, semble être fait pour héberger des épopées intemporelles. Le béton gris des murs, le bois des gradins et les poutres apparentes, permettent de laisser libre cours à l’imagination, aux rêveries. Avec rien ou presque rien, une table sans âge, quelques chaises assez rudimentaires, un piano, et en un clin d’œil, Arkadina, Treplev et Nina parlent avec fougue de théâtre dans le coin d’une cuisine à peine suggérée, Lioubov et Lopakhine dissertent entre deux portes de l’avenir hypothétique d’une Cerisaie, qui s’étendrait au-delà de la scène, Ivanov boit en compagnie de Borkine, tout en se désespérant que sa femme Anna n’expire pas à force de se languir l’étage du dessus. 

Vouant à l’écrivain russe, qu’il considère comme l’auteur absolu, une folle passion, depuis que Vitez, dont il a été l’élève au conservatoire, lui conseille de travailler le rôle de Treplev, Christian Benedetti ne cesse de revenir sur les pièces du dramaturge, de les disséquer afin de leur donner leur nature première plus comique, vaudevillesque que tragique. Dépouillant l’ensemble du superflu et d’effets dramatiques qui en altèrent le propos, le metteur en scène et comédien s’amuse à mettre en lumière la crudité d’Ivanov, la truculence de Lopakhine, et ainsi respecter les dernières volontés de Tchekhov qui aspirait à plus de simplicité, de réalisme et moins de mélancolie. 

S’entourant au plateau de l’épatante Brigitte Barilley, qui campe une merveilleuse Arkadina, une Lioubov « foldinguotte », une Zinaïda haute en couleurs, de la flamboyante Olivia Brunaux qui campe l’excentrique et un brin magicienne gouvernante dans La Cerisaie, d’une troupe de comédiens fidèles mais aussi de jeunes comédiens détonants – une quarantaine d’artistes ont participé à ce projet dément depuis 2001- , Christian Benedetti s’en donne à cœur joie. Comme un poisson dans l’eau, il fait de cette grande œuvre bien plus qu’un ensemble de textes qui se répondent, se percutent, l’essence même d’une histoire de troupe, d’un parcours fraternel, amical construit au fil de présentation. Jamais fixé, le metteur en scène laisse le spectacle prendre son envol, attraper le public, le saisir, l’emporter à bride abattue vers d’autres cieux, très différents de ce que l’on a habitude de montrer de l’auteur russe. Avec une intelligence extrême, une lucidité éclairée, il donne corps et chair aux mots, les enveloppe d’un écrin minimaliste, qui laisse la part belle aux silences, aux pauses, aux respirations. Tchekhov n’avait pas depuis longtemps été aussi vivant. Il résonne magnifiquement avec les temps présents. Complétée en mai par les pièces en un acte du dramaturge, l’intégrale fait les beaux jours du Théâtre-Studio. Un conseil, courrez-y sans tarder !

Tchekhov, 137 évanouissements par Christian Benedetti. L’intégrale des pièces d’Anton Tchekhov. À partir du 9 mars au Théâtre-Studio d’Alfortville.