Au Quai d’Angers, Thomas Jolly entame les premiers jours de répétition de sa dernière création, une adaptation du conte fantastique d’Evgueni Schwartz, Le Dragon.

Entouré de tranchées, en raison des travaux des deux prochaines lignes de tram, Le Quai semble coupé du monde, tout comme la ville que découvre le chevalier Lancelot, héros professionnel, dans la fable féérique et satirique du dramaturge russe, Evgueni Schwartz. Depuis plus de quatre-cents ans, les habitants de cette cité imaginaire vivent sous la coupe d’un horrible dragon à trois têtes. « Auteur de contes pour enfants, raconte Thomas Jolly, il a commencé à la fin de de sa carrière à changer de lectorat et à écrire des pièces de théâtre pour adultes. S’emparant de sujets politiques de son époque, on imagine bien que Le Dragon, créé en 1944, est un pamphlet contre le national-socialisme allemand, la dictature de Staline et tous les totalitarismes. Mais, et c’est qui m’a intéressé, il utilise les motifs de contes, le preux chevalier, la demoiselle en détresse, un tapis volant, un chat qui parle. Ainsi, il transforme le récit en une critique politique et onirique, qui oblige au plateau un engagement total des comédiens, des techniciens et des régisseurs pour qu’effets spéciaux et magie fassent théâtre. C’est un travail très dense, très complexe. C’est passionnant à mettre en scène ce ballet des corps, des individus. »

 Sur scène, les quatorze interprètes, texte en mains et costumés en partie, évoluent dans le sombre, poétique et somptueux décor d’écailles noires, rappelant le corps de la terrorisante créature, imaginé par Bruno de Lavenère, déjà scénographe du très beau Macbeth Underworld, crée en 2019 à la Monnaie de Bruxelles. Aidés par l’équipe technique, ils suivent les directives que Thomas Jolly leur donne micro à la main, modulent l’espace, enlèvent une table, changent de place un fauteuil. Toujours en mouvement, vêtu de noir, basket vert fluo, le metteur en scène et directeur du lieu aime être au plus près des comédiens, tout en ayant suffisamment de recul pour voir ce que cela donne, si les postures, les tableaux, ont un sens, correspondent à ce qu’il souhaite imprimer dans l’œil du spectateur. Il passe ainsi en permanence de la salle au plateau pour fixer un certain nombre de déplacements, d’effets. « Après avoir monté en trois semaines, La nuit de Madame Lucienne en 2020, en réaction à la situation sanitaire, j’avais besoin de prendre le temps, d’appréhender ce que nous traversons, de faire écho aux déplacements, aux crispations, aux divisions, aux dissensions qui ébranlent actuellement notre société. Il était important pour moi d’y répondre et la manière dont Evgueni Schwartz interroge, à travers un conte fantastique, les mécanismes de réorganisation des rapports sociétaux d’une cité soumise à une menace autoritaire, me semblait parfaitement correspondre au moment. »

 Ce n’est que le premier jet, un embryon de pièce, mais déjà on y voit une belle promesse. En janvier, le spectaculaire et le politique se conjugueront à merveille sous le ciel de Touraine et l’on verra sortir de l’ombre un auteur méconnu en France. 

Le Dragon d’Evgueni Schwartz. Mise en scène de Thomas Jolly du 18 au 25 janvier 2022 au Quai d’ Angers.