Sagazan expose chez Loo & Lou ses œuvres hybrides mêlant sculptures, peintures et performances charnelles. Pour comprendre le vivant. Visite.

CARLUCCIO-DIDIER Copyright : Olivier de Sagazan.

Un atelier à Saint-Nazaire, installé au milieu d’un jardin foisonnant où la végétation se déploie en toute liberté. Olivier de Sagazan rentre de São Paulo, où il a donné une série de performances, pour préparer sa nouvelle exposition à la galerie Loo & Lou, à Paris. Avant de se rendre en Avignon pour présenter deux créations, dont Transfiguration, qui l’a rendu célèbre à travers le monde. Depuis près de trente ans, Olivier de Sagazan se transforme face à son auditoire en sculpture vivante. L’artiste se recouvre le visage, puis le corps, d’une épaisse couche d’argile et de peinture qui le rend aveugle à ce qu’il fait. Méthode parfaite pour éviter la mimesis, pour donner une chance au hasard et créer à la manière des surréalistes, de manière automatique. Ses mains étalent la matière, ses doigts marquent des yeux noirs. Plongés dans une peinture rouge, ils incisent l’argile pour libérer sa bouche. Puis à nouveau recouvre son visage d’une nouvelle couche qu’il déforme et déchire. « C’est comme d’être derrière Francis Bacon et de le voir en train de peindre », confie-t-il, les yeux lumineux de cette passion qui semble le guider. À travers ce rituel déroutant, puissant, l’artiste tente de se libérer de ses masques pour accéder à son être profond. « Je veux bousculer, réveiller les dormeurs, pour les sortir du confort de l’habitude ».

  La galerie Loo & Lou présente un autre pan de son travail, des sculptures et surtout ses toutes dernières explorations, ses hauts-reliefs. Habités d’êtres aux mouvements figés, ils font se rencontrer ses sculptures, ses peintures et ses performances. Tandis que les scènes font écho à l’histoire de l’art. Inspiré de La Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, un groupe entoure un corps éventré disposé sur une table. Un halo jaune les surplombe. « La table est comme un autel et les médecins comme des curés, ils officient à partir de leur verticalité face à l’horizontalité de la mort. L’une de mes grandes questions est de comprendre le vivant. Comment passons-nous de l’inertie au sensible ? Et qu’est-ce que signifie être sensible ? ». Un autre haut-relief s’apparente à une pietà, dans laquelle le passé et le présent s’entremêlent. À l’image des chronophotographies de Muybridge qui inspirèrent aussi les dessinateurs de bandes dessinées, Olivier de Sagazan peint le mouvement des corps précédant la scène finale et fusionnant en une seule image le passé et le présent. Cet artiste inclassable s’intéresse à la vie, à l’animé. « Si j’ai suivi, au départ, des études de biologie, c’est pour essayer de comprendre le vivant. Mais je me suis rendu compte que cette pratique en laboratoire portait un regard objectif sur les corps. » Pour lui, hors de question de dissocier le corps et l’esprit, l’intériorité et l’extériorité : « je suis plus moniste que cartésien ». Une rencontre avec les autoportraits de Rembrandt à Amsterdam change sa trajectoire. Le jeune biologiste est subjugué. « Je suis resté trois heures devant ses œuvres. Il a réussi à rendre compte du vivant à la fois par l’aspect scientifique, l’extérieur, et par l’intérieur ».

Transfigurations, courtesy de l’artiste.

De retour en France, après un passage au Cameroun pour sa coopération, l’artiste apprend en copiant les grands maîtres. Il peint l’anatomie des corps, la lumière qui émane de la peinture, explore les contrastes, les camaïeux de marrons et de gris, trace la délicatesse des lignes squelettiques, joue avec les textures. Il travaille aussi en volume. En découvrant ses sculptures, les liens avec la statuaire africaine paraissent évidents, que ce soit dans les formes ou dans les matériaux. Olivier de Sagazan est né au Congo et s’il n’y vécut que deux ans, il dit avoir toujours été touché par les sculptures Teke. Lui aussi utilise l’argile et le métal, qu’il abandonnera plus tard, inspiré par les cytosquelettes des protozoaires. Avec l’argile, il rejoue l’apparition du vivant selon les grands mythes de l’humanité mais aussi les sciences. Mais lui se confronte à l’impossibilité d’animer cette matière. Alors un jour, dans son atelier, lassé, il décide d’y plonger physiquement. « Je me suis mis dans l’argile, je suis devenu peinture pour comprendre la différence entre l’animé et l’inanimé ». Il se filme et là, la révélation. « J’ai eu l’audace de jeter mon corps dans la bataille pour créer un masque en mouvement qui est l’expression de mon intériorité. » De cette impossibilité à donner vie à son œuvre naissent ses Transfigurations. Contrairement à Frankenstein ou Pygmalion, il n’a pas insufflé la vie à une sculpture, il est devenu sculpture.

Lorsqu’il n’est pas en représentation à travers l’Europe, Sagazan continue d’expérimenter la matière dans son atelier, avec toujours cette quête de compréhension de l’apparition de la vie, de l’animé. Mais avant, chaque matin, il court au bord l’océan, lit des revues scientifiques et des essais dont récemment,   Phénoménologie et cosmologie, de son ami et philosophe Renaud Barbaras. Puiss’attable avec sa femme Gaëlle, premier témoin de son travail, au regard précis et au verbe sincère. Avant, ils avaient l’habitude de déjeuner en haut du majestueux peuplier. Il y a construit une cabane, rêve d’enfant qu’il partagea avec ses cinq filles, dont Zaho, la jeune chanteuse qui cartonne.  Enfin vient la pratique, dans son long et lumineux atelier installé dans le jardin. Au milieu des sculptures et des peintures trône sa palette de sculpteur, un cratère d’argile à même le sol, creusé en son centre pour y déposer de l’eau qui humidifie cette matière charnelle. Ses hauts-reliefs, aussi là, dans l’attente d’être emportés à Paris, intègrent des éléments en volume découvert grâce à ses performances et spectacles. Tandis que ses sculptures se nourrissent de ses peintures. « Ce qui m’intéresse c’est d’arpenter des espaces inconnus. Mes grands moments de joies sont les accidents. Tel à São Paulo lorsque mes mains ont semblé s’enflammer grâce à un jeu de lumière inattendu ». Olivier de Sagazan, l’homme passionné, gai et lumineux, est à l’image de son art, un authentique et insatiable explorateur de la vie.

Olivier de Sagazan, Toujours, jamais ! du 6 juin au 26 juillet. Loo & Lou Gallery, Paris, 3e – looandlougallery.com