La galerie Alain Margaron consacre une nouvelle exposition aux œuvres de René Laubiès, peintre discret qui a tracé des lignes d’horizons entre Orient et Occident, d’une délicatesse rare.

L’Oiseau Taoïste, 1957, encre sur papier marouflé sur toile, 250 x 270 cm. Crédit : Galerie Alain Margaron.

Les ailes s’élancent, aussi noires et farouches que des troncs d’arbres balayés par le vent. L’Oiseau Taoïste de 1957 qui encre le papier est la plus grande œuvre de René Laubiès, réalisée alors qu’il était professeur à l’Université d’Alabama. Œuvre charnière, presque manifeste, qui clôt une gestualité calligraphique pour ouvrir à des horizons magiques. L’artiste est un des rares Français à avoir côtoyé le Black Mountain College dont les membres, répondant aux noms de Robert Rauschenberg, John Cage ou Franz Kline, dessinèrent l’avant-garde de l’art américain d’après-guerre. Sa peinture, aussi radicalement gestuelle, à ses débuts, qu’infiniment abstraite, à la fin de sa vie, ressemble à un long cheminement initiatique en quête de l’essence du sentiment pictural. Et pour ce faire, il n’a cessé de puiser dans le langage poétique et les paysages naturels, qu’il embrassait, en peintre solitaire, face à la mer ou à la montagne, dans le désert d’or d’Iran, dans le souffle des vagues de Marie-Galante, ou au cœur de la luxuriance humide de l’Inde, son pays de cœur, où il ira mourir en 2006. Peintre voyageur, cueilleur des lignes mémorielles des paysages, chanté par son ami, le poète américain Robert Creeley qui publia huit de ses encres dans le premier numéro de Black Moutain Review. D’une discrétion remarquable, il finit par être oublié alors qu’il fut un temps classé parmi les artistes dit « informels » des années 1950, aux côtés de Jean Fautrier, Roger-Edgar Gillet, Hans Hartung et même le Jean Dubuffet d’une certaine période. Artistes du signe, peintres calligraphes que relie une abstraction matiériste et gestuelle. Cependant, Laubiès a toujours rejeté une quelconque appartenance à une école. Solitaire farouche, jusqu’à l’ascétisme, sa vie de pèlerin serein de la peinture n’aura été qu’une recherche, à l’extrême, d’une fusion de son être avec la nature, par le biais de la peinture. Ainsi celle-ci n’est-elle plus la simple retranscription d’un motif, mais la respiration profonde d’une communion avec une atmosphère. « Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit », écrivait Stéphane Mallarmé à son ami Manet. Il est étonnant que ses œuvres n’aient pas été plus – et mieux – regardées. Car si ses terreuses abstractions des débuts sont aisément datables de l’époque d’après-guerre avec leurs stigmates verticaux venant marquer une forêt de signes ténébreux, les encres noires ultérieures, plus légères, semblent intemporelles. Quant aux tendres et lumineuses abstractions, confinant au monochrome évanescent, elles sont d’une modernité étonnante. Huiles méticuleusement grattées, procédant par l’effacement ritualisé de couches, jusqu’à faire surgir d’infimes souffles colorés. Voici le pinceau guidé par l’esprit taoïste, des origines, toujours sur une feuille de papier. Laubiès excellait dans l’art du dépouillement signifiant. Sagesse des matières et des couleurs qu’il avait probablement héritée de ses origines chinoises par sa mère alors que, né à Saïgon, il passa les trente premières années de sa vie au Vietnam. À la fin de sa vie, ses stries et ses effeuillements de couleurs se muent en ondes vaporeuses, presqu’invisibles, méditant sur la fragilité précieuse des éléments naturels. Des aubes qui s’élèvent et nous rassérènent.

René Laubiès, Calligraphies, Oiseau Taoïste, Traces, du 4 juin au 26 juillet, Galerie Alain Margaron, galerieamargaron.com