On a regardé la 49ème cérémonie des César, produite et diffusée par Canal +. Compte-rendu.

J’ignore pourquoi j’ai accepté la commande de mon redac chef Vincent Jaury. Je n’aime pas les César/oscars/Grammys/Victoires/etc pour un tas de raison : le spectacle de l’entre-soi, le marketing corporatiste, les private jokes et sketches pénibles, le rituel de la contestation en robes Vuitton et du prêchi-prêcha moral en tailleur Armani. Surtout, j’ai passé depuis longtemps l’âge des distributions de prix et je ne crois absolument pas au concept de meilleur ceci ou cela de l’année. Ce qui est pertinent en sport (la compétition, la performance objectivement mesurable…) ne l’est pas en art et Godard avait mille fois raison de rappeler qu’on ne peut pas savoir si un film coure le 100m en 10 secondes ou saute 2m30. Elire « le meilleur film » ou « la meilleure actrice » de l’année, c’est grotesque, ridicule, ça n’a pas plus de sens que d’établir un classement entre pommes et bananes. Enfin, aux César, on parle de politique, de télévision, de remerciements aux équipes merveilleuses et à la famille chérie, de tout sauf de cinéma. Le cinéma, ça se pense, ça se dit et ça se discute en pré-production, au tournage, au montage, dans la critique, les textes universitaires, les ouvrages, les conversations d’après séance, mais jamais aux César. Bref, c’est la première et dernière fois que je commente cette soirée, on ne m’y reprendra plus.

Bienvenue donc au 49ème Bolloréshow, pardon, à la 49ème cérémonie des César, sur TéléBolloré, pardon, sur Canal+. 

Car le vrai président occulte de cet événement, comme tous les ans, c’est Vincent Bolloré. C’est lui qui finance la plupart des films, c’est lui qui produit et diffuse les César, c’est la belle croix bleutée du logo de sa chaîne que l’on aperçoit dans presque tous les génériques gratifiant nos écrans tout au long de l’année. On oublie souvent ce fait car ce grand cinéphile et mécène est trop modeste, trop humble. Rappelons d’ailleurs aux étourdis sa fiche signalétique.

Vincent Bolloré a bâti sa fortune par l’action humanitaire en Afrique.

Il a ensuite édifié son empire médiatique à but non lucratif consacré à l’humanisme, au féminisme et au progrès, en rachetant Canal + donc, mais aussi C8, CNews, Europe 1, Paris Match et le JDD. 

Parmi ses troupes de journalistes merveilleux, il a transformé en stars Pascal Praud, César du bon sens politique, de la pertinence sociétale et de la nuance, ou encore Cyril Hanouna, César de l’élégance et de l’élévation intellectuelle des Français, sans oublier Geoffroy Lejeune, digne héritier de Joseph Pulitzer et d’Albert Londres.

Enfin, Vincent Bolloré a soutenu le grand social-démocrate Eric Zemmour à la dernière élection présidentielle. 

Il est donc d’une logique imparable que la grande fête annuelle du cinéma, du féminisme et de Metoo soit produite et diffusée par une telle conscience morale en regard de laquelle Robert Badinter n’était qu’un nain.

Globalement, ce Bolloréshow 2024 a ressemblé à la plupart des précédents, un cocktail de comédie, de tunnels de remerciements et de petites saillies politiques… Arieh Worthalter a eu une parole presqu’aussi forte que son Goldman dans le film de Cédric Kahn en demandant le cessez-le-feu à Gaza alors qu’il est Juif. Evoquant aussi les bombardements à Gaza, Kaouther Ben Hania a été moins heureuse en soutenant Julian Assange, « le meilleur d’entre nous ». Le meilleur lanceur d’alerte, peut-être. Mais Assange a aussi été accusé d’agressions sexuelles et a frayé avec le régime russe : dans une soirée féministe et anti-guerre, ce « meilleur d’entre nous » faisait un peu bizarre. Au sujet de ces propos politiques expéditifs car sévèrement minutés par TéléBolloré, on se demande vraiment quelle est leur utilité, à part satisfaire la bonne conscience de ceux qui les prononcent et de ceux qui les écoutent ? Les leaders qui pourraient arrêter les guerres actuelles (Poutine, Netanyahou, Sinouar, Anieh, Khameiny, Biden…) ne regardent pas les César, et quand bien même ils les regarderaient que cela n’y changerait rien, les voies de la géopolitique étant infiniment plus complexes que le pacifisme de base. Le Bolloréshow est structuré de telle manière que ce n’est de toute façon pas le lieu pour traiter ces sujets sérieusement : on peut seulement proclamer quelques slogans faciles et consensuels. Au moins, le président humaniste de la soirée (Vincent Bolloré, rappelons-le) devait être satisfait. 

C’est sans doute aussi Bolloré qui avait poussé pour que la fête du cinéma 2024 soit celle du féminisme. Beaucoup y sont allé de leurs petites phrases pour rendre hommage aux femmes, aux actrices, aux réalisatrices (dont l’excellente Sophie Fillières disparue cette année) et pour rappeler que Justine Triet est seulement la 2ème femme après Tonie Marshall (dont la maman Micheline Presle vient de nous quitter) à glaner le trophée de « meilleur réalisation » en 49 éditions. C’était une anomalie et gageons que ce prix, après les palmes d’or de Triet et Ducournau ou le Lion d’or de Diwan, en appellera d’autres. 

Le clou du volet féministe de cette édition 2024 a été le discours de Judith Godrèche, la nouvelle patronne de la cause des femmes. Disons-le, son texte fut enlevé, rédigé et dit avec panache. Ce qui est étrange, c’est qu’elle porte plainte pour viol et emprise contre Benoit Jacquot, alors qu’elle disait ceci en 2009 à 37 ans : « La Désenchantée est le film qui me ressemble le plus de tous ceux que j’ai fait en tant qu’actrice. J’y ai été filmée avec amour et avec bienveillance. (Benoit) respectait un certain mystère, une sorte de sauvagerie que j’avais ». Et ceci en 2010 : « (Benoit) était quelqu’un d’extrêmement séduisant. J’étais dans le romanesque, le romantisme et lui représentait tout ça. C’était quelqu’un de très habité, de très intelligent, de brillant et c’était quelqu’un qui réinventait la vie. Ensuite, il avait certainement une énorme influence sur moi, j’étais sous son emprise en quelque sorte mais c’était une emprise extrêmement inspirante ». Entre 2010 et 2024, son discours a donc opéré un virage à 180 degrés. Nous écoutons Judith Godrèche et nous espérons que sa plainte permettra à la justice d’établir toute la vérité des faits et à nous simples citoyens d’y voir plus clair dans son histoire complexe. Comme l’a suggéré plus tard dans la soirée Audrey Diwan, nous sommes tous opposés au viol et aux violences sexuelles. Nous divergeons parfois simplement sur les moyens de parvenir à combattre ces fléaux et à changer d’époque. En ce qui me concerne, je n’aime pas les procès médiatiques, l’hystérisation et l’instantanéité pulsionnelle d’un débat public motorisé par les réseaux sociaux et les chaines info, et je tiens à des bricoles telles que la présomption d’innocence, le travail patient et minutieux de la justice, fondements de l’état de droit.

Et les prix ? On s’en fout un peu, non ? Bon, surprise incroyable, Anatomie d’une chute a obtenu les récompenses principales : meilleur film, meilleure réalisatrice, meilleur scénario, meilleure actrice, meilleur second rôle masculin. C’est à la fois mérité et too much : ce bon film mérite-t-il l’avalanche de récompenses qui tombent dans son escarcelle ? A mon sens, non, car d’autres films aussi bons si ce n’est meilleurs mériteraient leur part d’honneurs. Autre surprise, Le Règne animal a aussi obtenu 5 compressions mais pour les catégories techniques. A noter aussi le mérité prix du meilleur acteur pour Arieh Worthalter, incandescent dans Le Procès Goldman, ainsi que le prix du meilleur 1er film pour l’excellent Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand.

Best of de cette soirée Bolloré.

L’intro de Valérie Lemercier, toujours drôle et classe, et dont les vannes sur « ceux qui ont mieux travaillé que les autres » et sur cette cérémonie « dégueulasse » attestaient qu’elle trouve aussi absurde que moi la compétition et les prix dans le domaine du cinéma. 

La tchatche et le charisme singulier de Raphaël Quenard, personnalité unique et non formatée qui a fait son show en remportant le César de la meilleure révélation masculine.

Le César d’honneur d’Agnès Jaoui, pour le discours drôle, sensible et intelligemment politique de Jamel Debbouze, pour le visage ému de Jaoui écoutant Jamel, et pour le discours-chanson-ukulélé de l’actrice-scénariste-réalisatrice multicésarisée, un véritable moment d’émotion, de justesse et de classe saltimbanque.

Worst of.

Le duo comique Dany Boon-Diane Kruger, pas très drôle.

Le prix du meilleur film étranger au sympathique Simple comme Sylvain de la sympathique Mona Chokri, face à des concurrents comme Kaurismaki, Bellochio ou Nolan ! Ce dernier a du être ravi de s’être ennuyé trois heures pour ça. Ce prix est toujours le bug du Bolloréshow.

Les remerciements des lauréats peu habitués à la scène, toujours trop longs et débités mécaniquement.

Rien pour L’Eté dernier. Décidément non consensuelle (compliment), non césarisable, Catherine Breillat faisait la gueule toute la soirée. On la comprend un peu.

Rien non plus pour le subtil Le Ravissement. Dommage pour la magnifique Hafsia Herzi et pour la jeune réalisatrice Iris Kaltenback.

Voilà, pendant cette soirée du cinéma, on aura comme prévu parlé politique, féminisme, remerciements aux équipes et aux familles, et pas du tout de cinéma. Same old song.

Le Bolloréshow baisse le rideau et vous donne rendez-vous l’année prochaine pour les nouvelles aventures de la grande famille du cinéma.