La Suédoise Mamma Andersson a le génie du mystère – elle a du génie tout court. Une des meilleures expos de novembre. Et c’est chez Zwirner.

De la peinture de Mamma Andersson, on sait qu’elle se distingue par la pleine possession de qualités plastiques aussi indubitables qu’elles sont malaisées à ramener à des mots – je veux parler de cet appel d’air, de cette sensation, face à ses tableaux, de se tenir devant une porte entrebâillée –, on sait également que sa solidité n’est pas exempte d’une tendance délibérée au délitement, que cet art fait de la décomposition une modalité de la composition ; on sait encore que ces scènes sont douées des propriétés psychophysiques des tableaux de Chirico, qu’elle ne fait pas mystère d’aimer – qu’elles se fixent dans l’esprit, rêveusement, mais aussi avec une insistance qui confine à l’hallucination. 

Et voilà que devant The Misunderstood, devant ces mains articulées, aux doigts ébauchant on ne sait quels idéogrammes d’on ne sait quel langage, devant ces mains sectionnées au-dessus du poignet, à la hauteur d’une manchette noire qui les ceint d’un deuil inconnu (celui des mannequins amputés de ces organes artificiels ?) – voilà que devant cette table au luisant lustré d’un opulent brun, devant ces piles éparses de cahiers et de livres – voilà que devant ces planches d’on ne sait quel théâtre de marionnettes où ces factices mains seraient aussi les personnages, on se prend à jouer les chiromanciens, et à lire, non pas dans leurs lignes, mais dans celles de Nadja. Celles où un gant de femme, bien réel puis en bronze, détermine chez Breton l’idée de quelque chose « de redoutablement, de merveilleusement décisif ».

Sans doute faut-il mesurer la force d’une peinture à la puissance d’ébranlement et de traction qu’elle exerce sur certaines de nos fibres intimes – celles au bout desquelles, silencieuses mais insistantes cloches, pendent ces fragments de lectures qui n’attendent qu’un tressaillement pour retentir à nouveau dans la conscience.

Ainsi, suggère et atteste le souvenir, il y a chez Mamma Andersson quelque chose aussi « de redoutablement, de merveilleusement décisif ». Knausgaard, avec son acuité, a très sensiblement écrit sur les irrégularités qui perturbent l’agencement de tels tableaux de Mamma Andersson ; ici, sous nos yeux, c’est par exemple un angle aigu qui semble pénétrer, bouleverser, déchirer, le paysage d’un papier peint. Redoutable blessure – mais que laisse-t-elle à nu ? Considérez cet autre tableau : des masques accrochés à un mur et, passage occulte, tassé tout à gauche, un corridor noyé d’ombre à moins que, à la faveur d’un discret vertige perceptif, on n’ait changé de décor. Quelque chose ici est débarrassé des oripeaux de l’apparence, quelque chose aussi pourrait bien se tapir dans l’ombre. Quel secret fait ainsi mine de se dévoiler ? Mais voici le Lièvre mort d’Ehrenstrahl, voici, sous forme de l’inclusion d’une copie au sein de l’image, une œuvre d’Ehrenstrahl – un lièvre – et mort. Quel geste criminel faut-il accomplir pour que la peinture advienne ? Quelque chose de décisif a toujours lieu dans la peinture de Mamma Andersson – c’est redoutable, c’est merveilleux.

Mamma Andersson, Adieu Maria Magdalena, jusqu’au 18 novembre, David Zwirner. Plus d’informations : https://www.davidzwirner.com/