Oublie-moi de Matthew Seager, adapté par Marie-Julie Baup et Thierry Lopez, nous plonge dans cinquante ans d’un couple confronté à la perte de mémoire. Terrible, drôle, profondément humain. À voir au Petit Saint-Martin. 

L’histoire commence à la manière de toutes les histoires d’amour : deux jeunes gens tombent sous le charme l’un de l’autre. Très vite, ils s’installent ensemble. Rien ne semble entacher leur bonheur. Pourtant derrières les sourires « ultra bright », un drame se prépare. La romance tourne au tragique. Et sur scène, les deux protagonistes nous le racontent. Arthur et Jeanne remontant le cours de leurs souvenirs communs, du jour de leur rencontre jusqu’au point de non-retour.

Un soir d’été, dans une boite de nuit, Jeanne s’ennuie. Accoudée au bar, elle attend sa meilleure copine partie on ne sait où. Arthur, en dragueur patenté, l’a repérée. Elle est tout à fait à son goût avec son nez retroussé, sa taille de guêpe et cette moue mi-rieuse, mi-boudeuse. Ne sachant comment l’aborder, il lui jette un verre de vin à la figure. La technique est insolite, un peu lourdaude voire contre-productive. En guise de réponse, une gifle bien sentie aurait été tout à fait logique. Il n’en est rien. Entre les deux, c’est le coup de foudre. Son humour ravageur à elle, sa fausse nonchalance à lui, s’accordent à merveille. Après les résistances d’usage, le premier baiser, forcément sulfureux, scelle leur destin. Ils sont faits l’un pour l’autre. Tout va ensuite très vite. L’appartement, les vacances, les amis, la vie à deux. L’usure du couple, ce n’est pas pour eux. Une sorte de folie douce, d’envie de vivre sans se soucier du lendemain, semblent empêcher l’érosion de leur amour. 

Un jour pourtant, une broutille vient mettre un peu de gris dans les mille nuances de rose de leurs jours. Ce n’est rien, pas de quoi s’alarmer. Rapidement, le tableau idyllique se fendille. Arthur est de plus en plus distrait et distant. Il s’énerve pour un rien. Sourd, le mal s’instille. Sa verve habituelle a des ratés, son comportement, un peu enfantin, charmant, devient irritant, désagréable. Viennent ensuite les oublis, les trous de mémoire de plus en plus fréquents. Plus question de minimiser son état, une consultation chez un spécialiste s’impose. Douloureux, le verdict tombe. Une maladie neurodégénérative rare s’est invitée dans leur quotidien. Il ne reste plus qu’à lutter ensemble, pour le meilleur, pour le pire, jusqu’à l’inévitable oubli. 

Amis de longue date, complices dans la vie et sur scène, Marie-Julie Baup et Thierry Lopez s’emparent avec malice et ingéniosité du très beau texte de Matthew Seager. Ils lui impulsent un souffle tout en retenue et drôlerie, lui donnent ce je-ne-sais-quoi de légèreté, de fougue et d’émotion qui bouleverse. Ils habitent avec grâce et force ces deux amants magnifiques. C’est vertigineux d’intelligence. 

Oublie-moi de Matthew Seager. Adaptation et mise en scène de Marie-Julie Baup et Thierry Lopez. Théâtre du Petit-Saint Martinjusqu’au 1 er avril.