Les abstractions de Frédéric Benrath à la galerie ETC sont des aubes et des nocturnes infiniment belles.

C’est une histoire de proportions, de dosage et d’équilibre. La profondeur suinte dans l’opacité, à coups d’infimes taches de lumière. Toute l’ambiguïté est celle-ci : les abstractions de Frédéric Benrath sont-elles des horizons ou des façades ? « Façade », le terme fut employé pour désigner les œuvres vaporeuses de Marc Rothko. Elles aussi, des compositions en plusieurs plans, plus ou moins chatoyants, plus ou moins irradiants. Or l’on sait que Rothko se souciait de la place des éléments : « Deux choses avec lesquelles la peinture est impliquée : l’unicité et la lucidité de l’image et dans quel degré doit-on en parler », disait-il. Tout semble donc se rapporter à une question d’échelle : celle des formes transcrivant les sentiments humains, leur dimension tragique ou solaire. Frédéric Benrath serait au juste milieu, entre Gaspard Friedrich – dont il fit son prénom – et Marc Rothko. Si sa peinture fluide des années 1960 se réclame des effets météorologiques d’un William Turner et des ciels voluptueux d’un Tiepolo, elle emprunte surtout à la grande passion de sa vie, les ciels d’or et de cendres du romantisme allemand – au point de prendre Benrath comme pseudonyme, du nom du château qu’il visita en 1953, icône architecturale du mouvement intellectuel situé dans la campagne de Düsseldorf. Philippe Gérard devint donc Frédéric Benrath et s’engagea avec ferveur dans une peinture liquide aux courbes mordorées mimant des reliefs de montagnes et des vagues crépusculaires. Il devint le chef de file des Nuagistes, mouvement né à la fin des années 1960 caractérisé par une abstraction lyrique pourvoyeuse d’émotions suscitées par des échappées vers des horizons infinis et des variations de couleurs chaudes. L’exposition montre trois toiles de cette époque qui établit la carrière de l’artiste. De 1969, une plage évaporée de bleus et de jaunes, traversée par une vague agitée, est surmontée d’une tache de soleil à peine visible. Elle a l’attrait des souvenirs flous. Sa composition évoque celle du Moine au bord de la mer, chef-d’œuvre de Friedrich de 1810 habité par un ciel immense, tumultueux, n’autorisant que la présence d’une étroite bande de terre au bas de la toile. Œuvre sans doute charnière pour Benrath puisque ensuite il en prend le contre-pied, ne laissant qu’un infime rai de ciel dans la partie haute de ses œuvres alors que l’abstraction sourde, murale, s’élève à la manière d’horizons telluriques, de plaines silencieuses et de magma de poussière, dans une solitude sublime. Tout en haut, non encore submergée par ces raz de peinture, perce une infime lueur. À ce titre, Ultima Solitudino, triptyque de 1985 est un morceau d’exception. S’ensuivront des champs presque monochromes, érigés avec cette attention aux proportions chère à Rothko. Ici, inutile d’évaluer le degré de tragique. Il suivit Benrath jusqu’à sa mort accidentelle en 2007, écrasé par un scooter alors qu’il se rendait à son atelier.

Frédéric Benrath, jusqu’au 18 février 2023, Galerie ETC, galerie-etc.com