Du 1er au 21 février, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé met à l’honneur la magnétique période muette de la « Divine ».  

Certains films muets sont devenus des graals de la cinéphilie. On les cherche avec avidité, on croit en avoir vu des plans. On rêve surtout de les retrouver par hasard dans un vide-grenier au milieu d’une pile de vieilles bobines pornographiques. Parmi ceux-ci, The Divine Woman avec Greta Garbo et réalisé par son compatriote suédois, Victor Sjöström, l’un des plus extraordinaires cinéastes des années dix et 20. Qu’aurait donné la rencontre de la « divine » et du réalisateur de Larmes de clown ? Qu’aurait donné la force du jeu effacé, simplement magnétique de Garbo avec la puissance des images d’un maître expressionniste des ténèbres de l’âme ? Comme à son habitude, la Fondation Jérôme Seydoux – dont l’action devrait être signifiée d’utilité publique – nous permet d’exhumer des grands films muets oubliés, peu vus, bref devenus rares. Celle qui fut à Mauritz Stiller (qui la fit venir en 26 à Hollywood après deux films tournés en Europe) ce que fut Dietrich à Sternberg y est à l’honneur au travers de douze films, un documentaire de l’indispensable Kevin Brownlow et une conférence. Le cycle nous permet d’abord de comprendre le fait le plus significatif incarné par Garbo sur les écrans hollywoodiens : son indifférence, signe de sa liberté assumée, de son arrogance vis-à-vis des hommes et de signifier sans honte une sexualité assumée. Combien de scènes d’amour rendues hardies et excitantes grâce à elle ? Dans La tentatrice de Stiller (1926), son partenaire la regarde avec gourmandise. Garbo y répond avec très peu d’effets – c’est presque imperceptible – mais ne détourne pas les yeux jusqu’à ce que celui-ci les baisse. Par son indifférence, Garbo est rendue arrogante et iconique. La même année, dans Le Torrent de Monta Bell, Garbo domine encore son amant dont le jeu souligne l’impuissance et l’hébétude. Dans La chair et le diable, première de ses quatre collaborations avec John Gilbert, c’est elle enfin qui attrape les cheveux de son amant (au lieu du contraire) dans un geste de domination absolu mais sans aucun effet, aucun des artifices propres aux vamps. Ce film splendide de force expressive fut considéré comme le film muet le plus érotique. Par la suite, que ce soient des films historiques (Anna Karénine) ou contemporains (A Woman Affair, un des sommets du cycle), Garbo établit définitivement sa persona de femme libérée et qui n’a rien à devoir à personne. « Qui m’aime me suive » semble suggérer Garbo par le minimalisme de son jeu qui tranche avec celui de toute l’époque et dont le magnétisme est magnifié par le chef opérateur William Daniels. Le cycle permettra en outre de découvrir The kiss de l’immense Jacques Feyder (1929). C’est un cliché mais Garbo fut un mystère qui fit perdre la tête à tous les cinéastes qui l’ont côtoyée. Et quelles que soient les réussites éparses, parfois éclatantes de sa période parlante (Anna Christie, premier film sonore de la star et seule film parlant du cycle et l’un de ses chefs-d’œuvre), jamais aucun art (à part l’art iconographique) n’aura aussi bien exalté le mystère et la profondeur d’un visage que le muet dont 80 % de la production est dit-on perdue. Que de graals encore à retrouver ! 

Greta Garbo La Divine à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Du 1er au 21 février