La cheffe et fondatrice du Concert D’Astrée va diriger une nouvelle production attendue de la Sémélé de Haendel à l’Opéra de Lille.

Vingt ans déjà que la claveciniste et organiste, Emmanuelle Raymonde Suzanne Haïm, née le 11 mai 1962 à Paris et découverte au sein des ensembles de William Christie et Christophe Rousset, a fondé son Concert D’Astrée, considéré comme l’une des meilleures formations mondiales dédiées à la musique baroque. Courant de rendez-vous administratifs en répétitions, elle s’est posée quelques minutes pour répondre à nos questions à la veille de signer, avec le metteur en scène australien Barrie Kosky, une nouvelle production dela Sémélé de Haendel. 

C’était dur alors, pour une femme, de créer un ensemble ?

Sur le plan musical, je ne pense pas. En tout cas, je n’ai pas senti de résistances. Sur le plan administratif et institutionnel, un peu plus, car on fait moins confiance à une femme qui entreprend. Ce fut donc difficile, et ça continue à l’être pour tous les ensembles indépendants, dédiés à un répertoire particulier, qu’ils soient dirigés par un homme ou par une femme. Heureusement, nous continuons d’être portés par notre mission qui consiste à faire vivre la musique ancienne, aussi bien instrumentale que lyrique et chambriste. Ce répertoire est immense, et il faudrait que nous soyons plus nombreux car le public suit ; le succès de l’Idoménée de Campra que nous avons jouée sans coupures et avec un chœur, au Théâtre des Champs-Elysées et au Staatsoper de Berlin, en a redonné la preuve. Quant aux concerts que nous avons donnés pour cet anniversaire et qui ont réuni des interprètes fidèles et formidables de notre ensemble comme Natalie Dessay, Sandrine Piau, Michael Spyres, Sabine Devieilhe, Léa Desandre…ils m’ont comblée.

Peut-on vraiment parler d’opéra à propos de la Sémélé de Haendel que vous allez monter à l’Opéra de Lille ? 

En fait Haendel, l’a créée en 1744, pendant le Carême, donc il l’a déguisée en oratorio. Reste que l’argument est d’une rare sensualité, et que le livret, excellent, évoque des plaisirs sans fins et des passions comme la jalousie. Il y a également une variété d’écriture pour les chœurs qui laisse pantois ; certains ont une connotation sacrée et d’autres plutôt épique, comme dans Israël en Égypte. Entre les récitatifs accompagnés, les chœurs reprenant les airs de la soliste ou faisant des commentaires, on est vraiment à mille lieux de l’opera seria avec ses airs da capo, et autres figures obligées.

Vous allez retravailler avec le metteur en scène Barrie Kosky, qu’appréciez-vous chez lui ?

Qu’il soit autant un homme de théâtre que de musique, ce qui est indispensable pour faire de l’opéra. J’aime aussi sa finesse et sa grande compréhension des enjeux dramaturgiques. Sémélé pose des questions très contemporaines. Elle refuse de demeurer mortelle et de se morfondre seule, en attendant son amant, Zeus, alors que lui a tous les pouvoirs. C’est pourquoi elle exige qu’il se mette à nu, ce qui causera sa perte. On peut la trouver têtue, mais sa demande de vérité n’en reste pas moins justifiée. À Lille, nous aurons une distribution formidable avec des Américains, des Australiens, des Britanniques, des Turcs et des Français dont la jeune soprano Elsa Benoit dans le rôle-titre, ce qui s’accorde idéalement avec ce livret très universel. J’aimerais également signaler le contre-ténor français Paul-Antoine Bénos-Djian, qui chantera le rôle d’Athamas. Il a été admirablement formé par le Conservatoire de Paris et par le Centre de Musique Baroque de Versailles et incarne pour moi la relève. Je trouve qu’en dépit des difficultés que l’on a tous plus ou moins traversées ces dernières années, à commencer par les annulations dues à l’épidémie de Covid, il y a de nombreux motifs de réjouissance : de plus en plus d’artistes, contre-ténors ou cheffes, bénéficient de tout ce qui a été fait ces dernières années, et apportent leur contribution originale à la musique, sans avoir à affronter les querelles de chapelles d’autrefois.

Sémélé, du 6 au 16 octobre à l’Opéra de Lille. Direction musicale, Barrie Kosky; Direction musicale, Emmanuelle Haïm.