En alternant prises de vue réelles et animation, Céline Devaux réussit une screwball comédie mélancolique.

Jeanne (Blanche Gardin) aurait dû sauver la planète et décrocher la lune. À cause d’une bourde – une simple erreur d’appréciation à la con – son invention écolo miracle prend littéralement la flotte et Jeanne coule avec. Par synchronicité des évènements – comme diraient les psys – sa mère meurt au même moment. L’âme à la dérive, le portefeuille vide, le cœur sec, l’ego dans les chaussettes, la libido à plat, Jeanne part au Portugal vendre l’appartement familial. Elle y fait d’étranges rencontres, à commencer par le fantôme maternel, un ex se prenant pour un dieu du sexe et un type sans gênes (Laurent Laffite). À la différence de tant de comédies françaises épousant toutes le même programme scénaristique, ce film ne cesse de surprendre. La première bonne idée, c’est d’avoir tenté (et réussi) une comédie dépressive. Ce qui nous amuse, ce sont moins les catastrophes physiques provoquées par Jeanne amorphe – comme dans un burlesque – que les dégâts psychologiques qu’elle s’inflige à elle-même. Pour voir, entendre et comprendre l’état de son délabrement intérieur, la réalisatrice Céline Devaux – connue pour ses films d’animation – dessine et anime une étrange bestiole incarnant la petite voix intérieure de la conscience de Jeanne. Cette créature tout en cheveux, ce sont toutes les voix qui se bousculent dans la tête de Jeanne et qui commentent avec délice et beaucoup de cynisme des situations incongrues. Parfois, la « chose » en pense du bien, parfois du mal et souvent les deux en même temps. Quand un steward lui propose une collation dans l’avion, Jeanne ne sait que choisir. La petite créature lui rappelle combien ces sandwichs aériens sont peu ragoûtants et insipides mais Jeanne les prend quand même. Quand un pauvre type un peu gênant, au collier de barbe immonde s’approche d’elle pour la saluer, la petite voix crie à l’aide mais Jeanne le reluque comme une possible proie érotique. Elle a beau être empêtrée dans mille contradictions, le visage dépressif de Jeanne demeure impassible comme celui de Buster Keaton. Cette alternance entre une conscience sarcastique en surrégime et un visage de marbre provoque le rire. Ça n’a l’air de rien mais Céline Devaux façonne un personnage contradictoire. Et qui dit contradictoire dit surprenant ! Jeanne est à la fois désagréable et amicale, mal aimable et attendrissante. Comme les sandwichs aériens, elle suscite aversion et gourmandise. C’est un bon personnage car elle est ambiguë, comme vous, comme moi, comme mon voisin de table. Pour réussir pareil personnage inoubliable, il fallait trouver la bonne comédienne et la bonne voix intérieure. C’est là que Céline Devaux a une petite idée de génie : ce n’est pas Gardin qui double sa conscience mais la voix de la réalisatrice elle-même. Jeanne est d’autant plus un personnage réussi qu’elle est dissociée. En demandant à Gardin de peu parler et de promener son spleen inerte sous le soleil portugais, elle prouve combien le succès de l’humoriste ne tient pas qu’à sa diction et au brio de ses saillies mais aussi à son corps pataud et fier, son visage banal mais magnétique, capable d’exprimer avec peu d’effets des gammes diverses d’émotions. Bref, si tout le monde aime Jeanne, c’est d’abord parce que Jeanne existe.

Tout le monde aime Jeanne, Céline Devaux, avec Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual, sortie le 7 septembre, Diaphana Distribution

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