Transfuge est partenaire du Concours de la jeune critique du Festival La Rochelle Cinéma 2022. A cette occasion, nous sommes heureux de publier la critique du 3e prix, Phoenix Agneessens, autour de Voyage à deux de Stanley Donen.

Il est presque vulgaire mais attachant, elle est presque naïve mais charmante, l’été ils traversent ensemble la France en voiture. C’est là qu’ils se rencontrent, Alfred Finney étudiant aventurier un peu voyou, spécialiste du compliment abrupt, et Audrey Hepburn, insouciante, qu’on pourrait rencontrer en sortant du cinéma. 

Après ce premier voyage, il y en aura d’autres, avec des amis embarrassants, l’occasion de scènes au comique redoutable, ou bien encore quand le voyou est devenu architecte et la jeune fille, épouse esseulée et abandonnée. C’est une histoire simple, celle des rêves, de jeunesse, de liberté, de nouveauté, qui s’évaporent face à l’embourgeoisement, aux positions sociales et professionnelles, ou simplement face aux nécessités de la vie. C’est l’histoire de la majorité, celle qui a été vécue mille et mille fois.

Et c’est une manière de la raconter qui est faussement simple, mais toujours limpide. Les périodes de la vie du couple s’entremêlent : ils sont jeunes et leur épave est tombée en panne, alors ils font du stop sur le bord de la route, une berline passe à toute vitesse sans s’arrêter, ils se jurent que plus tard, ils s’arrêteront, eux. La caméra suit la voiture, on entre dans l’habitacle et cette berline c’est la leur, une dizaine d’années plus tard. Ici la transition ne se limite pas à sa fonction, elle signifie plus que le pourraient les mots, elle dit les changements qui s’opèrent en nous, les contradictions irréconciliables qui habitent les êtres, et le mouvement ininterrompu d’une voiture sur une route de campagne y est comme celui du temps.

Cette transition est d’autant plus marquante que les effets de mise en scène sont dans l’ensemble contenus, à l’exception de deux avances rapides très drôles, d’une surimpression et d’un jump cut audacieux. Il y a pourtant une grande et belle mise en scène, élégante et maîtrisée, un travail remarquable sur les couleurs et les vêtements : du rouge d’un pull d’Audrey Hepburn, qui se découpe sur le vert complémentaire de la forêt dans l’énergie de sa jeunesse, aux décors designs qui succèdent, beiges et blancs, à ses robes métallisées et tenues designs absurdes quand son couple se désagrège dans la haute société.

Il faut ajouter à cela un art du montage et du découpage rarement égalé. Donen sait exactement quand il est utile d’élargir le champ pour maximiser l’effet comique, quand monter une conversation ininterrompue en différents lieux pour contredire les paroles de son personnage, quand la transition doit être une réminiscence de formes ou de sons et quand elle doit être sèche et grave, passant du siège avant comprimé d’une voiture à l’air libre d’une plage sauvage.

C’est un film chantant, bercé par la musique lancinante de Mancini, une plainte lumineuse accordée à la perfection aux dialogues, toujours drôles, souvent spirituels, sans jamais devenir des mots d’auteurs, car ils ont le bon sens d’être ceux des personnages. Ils sont servis par un duo rayonnant qui sait nous arracher un rire plus émouvant encore que les larmes.

Douce musique qui fait l’éloge de l’amour, sans taire les mauvais quarts d’heure, les sublimant eux aussi. Dans les espoirs qui s’évanouissent, Stanley Donen trouve une légèreté pleine d’ampleur, ayant l’air de nous dire que tout cela est très important mais pas si grave, et qu’en une dizaine d’années, deux personnes qui vivent ensemble peuvent ne jamais finir de se rencontrer.