À Naples, avec la troupe permanente du teatro di Napoli, Jean Bellorini crée en italien certainement le meilleur Tartuffe de la saison. Pour sa première incursion chez Molière, il signe une œuvre baroque, drôle et fidèle dans son essence à la comédie originelle. Une réussite à voir en mai au TNP-Villeurbanne et aux Amandiers.

Au Teatro Mercandante, à quelques encablures du fameux Christ voilé, fascinante sculpture de Giuseppe Sanmartino, conservée à la chapelle Sansevero de Naples, un être de chair et de sang, installé sur une magistrale croix, observe d’un regard malicieux les allers-retours de la famille d’Orgon. Il ne perd pas une miette de la diatribe particulièrement assaisonnée de Mme Pernelle (épatante Betti Pedrazzi), mère du maître de maison, très en colère contre Elmire (lumineuse Teresa Saponangelo), sa bru, et ses petits-enfants, avide de dépenses, de fêtes, d’une vie insouciante.

Entichée, tout comme son cher fils, d’un faux dévot, aux faux airs de Dom Camillo, bon vivant et un brin manipulateur, elle prêche la mesure, l’ascétisme et tente de faire entrer un peu de plomb dans ses têtes folles. Face aux sarcasmes, aux railleries de toute la maisonnée envers le pauvre homme, elle quitte la place résignée mais sans en penser moins, laissant le soin à Orgon de remettre de l’ordre ici-bas. Il faudra toute la malignité de Dorine (Daria D’Antonio), la suivante de la famille, et l’abnégation d’Elmire, prête à sacrificier sa vertu, pour qu’enfin la véritable nature de Tartuffe (sensationnel Federico Vanni) se révèle dans la lumière crue de la spoliation, de la duperie, du viol.

Ce qui est particulièrement jubilatoire avec Molière, et notamment sa pièce la plus jouée de la saison, c’est qu’il n’est pas besoin de parler ou de comprendre l’italien pour se laisser porter par cette comédie satirique, dont certaines répliques sont cultes. S’appuyant sur la traduction du regretté Carlo Repetti, ancien directeur du Teatro Stabile di Genova, décédé en 2020, Jean Bellorini s’attache à éclairer la fable satirique sans pour autant faire de Tartuffe, quelque vampire ou  ange noir forcément tragique. Bien au contraire, il prend le contre-pied de ses confrères. Se régalant d’un bon plat de pâtes, reluquant avec malice les seins de l’accorte Dorine, ou se laissant aller à tâter la délicate chair d’Elmire, il croque la vie et ses délices. A trop tenter le diable, il se fera prendre, mais bien contrit un temps, il n’est pas prêt d’abandonner ses penchants pour la bonne chair, et croire en sa bonne fortune.

Là où beaucoup se cassent le nez à vouloir absolument faire entrer l’œuvre de Molière dans des courants de pensées plus contemporains, plus philosophiques, le directeur du TNP joue la carte de la comédie italienne, volubile et tonitruante. Le verbe est haut, les costumes sont chamarrés signés Macha Makaïeff, la gestuelle – les petites avancées rapides de Mme Pernelle en fauteuil roulant, en est un des exemples les plus amusants, piquants- parfaitement causantes. Jeux de lumières ciselés, interprétations virtuoses, tout concourt à faire de ce Tartuffe une farce pleine de nuance, de drôlerie, d’ingéniosité. Un magnifique moment de théâtre plein d’inventivité, du grand Bellorini à déguster presto ! 

Il Tartufo de Molière. Traduction de Carlo Repetti. Mise en scène Jean Bellorini, du 12 au 15 Mai 2022 au TNP et du 20 au 27 mai 2022 au Théâtre de Nanterre-Amandiers.