Le regard d’un jeune artiste sur un géant. Echange périlleux au Mac-Lyon. A ce jeu, face à Bruce Nauman, David Posth-Kohler ne manque pas d’audace.  

Si l’on est d’abord surpris par l’espace d’exposition qui n’est autre que le hall d’entrée du musée, entre les escaliers et la coursive menant aux ascenseurs, on observe ensuite les visiteurs. Ils ont l’œil tendre. Devant eux, une sculpture immense dont la taille s’emballe vers le ciel, totem géant d’un beige pâle pareil à la pierre calcaire, d’où s’extraient des mains immenses, se contorsionnant, à moitié agglomérées, suggérant un corps contraint ou en formation. Membrane chimérique évoquant le lien, voire l’offrande, ce que nos mains partagent ou repoussent, ce qu’elles écrivent aussi, car Sténos – c’est le nom de ce colosse – est un clin d’œil à la formation oubliée de sténographe suivie un temps par la mère de David Posth-Kohler. Acquise par le musée à l’issue de la Biennale de Lyon en 2019, cette sculpture est désormais dans ce lieu de passage, propice à la déambulation des corps. 

Le langage du corps justement, dans un cadre social tel que le musée est aussi, dans ce jeu ambivalent d’une intimité marchant dans un périmètre collectif, une des préoccupations de l’Américain Bruce Nauman dont le musée conserve des vidéos performatives emblématiques des années 1960. David Posth-Kohler en a choisi deux. Slow Angle Walk (Beckett Walk), 60 minutes durant lesquelles Nauman se filme, évoluant difficilement dans une pièce restreinte, s’obsédant de l’idée de l’enfermement d’un corps maladroit. Molloy dans Beckett ? Le corps sculpture, articulé, désarticulé, est aussi celui des pantins en grès émaillés de Posth-Kohler, qui prennent la pose, gardiens ou acteurs de l’espace de l’exposition, dont le centre est habité d’une cabane en toile rayée de bandes noires et blanches. À l’intérieur, gît, solitaire, dans la pose de la Muse endormie de Brancusi, le moule en béton du visage du jeune sculpteur. Autoportrait tragique, absurde ? Ou, plus simplement, incarnation des réflexions de l’artiste. « C’est le lieu où l’information rentre » explique-t-il. En écho, deux cloches suspendues en forme de tête humaine sonnent le début de la pièce de théâtre ou un signal d’alarme, qu’elles-mêmes n’entendent pas. Elles n’ont pas d’oreilles. 

Sans mauvais jeu de mots, cette exposition résonne. D’affinités avec Nauman. On pense à sa série des mains sculptées, à ses têtes en suspension maintenues par un fil. Puis, apparaît une étrange sensation de huis clos, soutenue par la seconde vidéo dans laquelle on ne voit que la cuisse de Nauman, malaxée de manière répétée par ses mains. « Au début, on a du mal à comprendre ce qu’on voit. Ce focus sur ce détail est un rapport direct à la sculpture sans définition de l’espace. J’aime la capacité de Nauman à montrer ce qui n’est pas identifiable au premier abord, son côté shamanique » souligne Posth-Kohler. Ayant grandi auprès d’une mère assistante de magicien et d’un père qui l’a emmené marcher autour du monde, il appréhende le corps comme un champ d’expérimentations, lieu où se racontent nos identités, nos attitudes sociales. Son rêve : le mettre en scène, pourquoi pas avec la même irrévérence que son aîné.

Crossover : David Posth-Kohler x Bruce Nauman, jusqu’au 10 juillet 2022, Musée d’art contemporain de Lyon, mac-lyon.com