La forme ne suffit pas. Il faut le souffle de l’émotion. Celui-là même qui a porté nos pas tout au long de l’exposition de la Fondation Van Gogh à Arles.

« Aérienne » aurait peut-être murmuré Bachelard au sujet de cette exposition dont le point de départ est une phrase que Vincent Van Gogh adresse à son ami, le peintre Émile Bernard, dans une lettre datée du 26 juin 1888 : « Le fait est que nous sommes des peintres dans la vie réelle et qu’il s’agit de souffler de son souffle tant qu’on a le souffle », écrit le peintre depuis Arles. Le ton y est aussi ensoleillé que tragique, mâtiné d’une attachante candeur, à l’image de sa peinture. Ce « souffle » est bien sûr celui de la touche vibrante du Hollandais, celle de ses volutes atmosphériques dont il savait emplir ses ciels et ses champs de blé. Mais il est aussi la respiration du travailleur acharné. « Notre vie propre et vraie est bien humble, celle de nous autres peintres » ajoute-t-il. Souffle vital ou divin, toujours artistique, « force imaginante » décrite par Bachelard, fugitive, brumeuse, évasive, infinie, se détachant du réel pour se mouvoir, se déformer, s’élever. Après Van Gogh, on la retrouve subtile ou éloquente chez plusieurs artistes depuis l’après-guerre. Une respiration picturale qui ne connaît pas les frontières stylistiques et chronologiques. Elle est universelle, chez les figuratifs, les abstraits, les conceptuels… La Fondation Van Gogh – dont la mission est de promouvoir l’art contemporain en écho à l’héritage de Van Gogh – a rassemblé vingt-six artistes de nationalités diverses pouvant répondre à ce fluide aussi doux que violent. Ce vent pictural souffle donc dans ce choix non exhaustif mais d’une merveilleuse cohérence, dont l’ancrage, en préambule, est une sculpture de Jean-Marie Appriou figurant un apiculteur jouant de la cornemuse et évoquant la silhouette de Van Gogh. À côté, flottent deux grandes toiles colorées de Vivian Sutter, échantillon d’une série plus étoffée dans laquelle le visiteur sera immergé quelques salles plus loin. On croise ensuite le souffle littéral et plein d’humour du ballon dégonflé du conceptuel Piero Manzoni – métaphore de l’âme de l’artiste… disparue – le souffle organique du poumon de Vito Acconci et celui, survivant, des lignes enchevêtrées du dessinateur allemand Wols qui fut interné au Camp des Milles durant la Seconde Guerre mondiale. Le pinceau, à bout de souffle, à l’instar de celui de Van Gogh, un temps interné lui aussi.

Comme la queue d’une étoile filante dans l’espace, on suit le tracé de ce souffle qui se fait érotique chez Marina Abramovic et Ulay et dans l’expressionnisme puissant de Tracey Emin, phénoménologique et poétique chez Markus Döbeli et Vivian Springford, nuageux, dense et coloré chez Hartung et Frank Bowling, féministe ou militant chez Jutta Koether et Asger Jorn et végétal chez Francis Halley et Giuseppe Penone. Au milieu de l’exposition, sacralisée, une seule toile de Van Gogh, Papillon de Nuit Géant de 1889 (prêtée par le Van Gogh Museum d’Amsterdam). Magnifique, statique, les ailes déployées, prêt à l’envol. Le souffle pur de l’inspiration. 

Souffler de son souffle. Jusqu’au 1er mai 2022.  Fondation Van Gogh, Arles.

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