Nous avons rencontré deux des fondatrices de Memorial, l’ONG de défense des droits de l’homme qui vient d’être interdite par Poutine, alors qu’elles recevaient le prix Jan Michalski. Cette association a accompli un travail titanesque pour reconstituer l’histoire de la terreur soviétique, et pour faire parler les muets de l’Histoire du XXIe siècle. Extrait du reportage à lire dans le Transfuge de janvier.

Par Oriane Jeancourt Galignani

C’est l’histoire d’une page blanche dans la mémoire russe.  Trois millions et demi d’existences ont été dissimulées, pour ne pas entacher « la grande Guerre patriotique ». Car dans l’Union soviétique, patriote, on l’était, ou on ne l’était pas. Et que faire de ceux qui demeuraient dans la « zone grise » de l’histoire ? Effacés, comme tant d’autres, jetés dans le gouffre de la propagande soviétique. 

Les deux femmes que je rencontre à la Fondation Jan Michalski perchée dans le Jura, entre Lausanne et Genève, affichent la tranquille gravité des combattantes. Irina Ostrovskaya et Irina Scherbakova ont mené le travail historique inouï d’Ost depuis plus de vingt ans, qui leur vaut aujourd’hui le Prix Jan Michalski, et une reconnaissance internationale. Récolter des témoignages, récupérer des documents, ordonner les faits, une quête d’archiviste qui compose ce livre non encore traduit en français, Ost, dans lequel on découvre ces « vies minuscules », de jeunes Ukrainiens, Polonaises, Biélorusses, Lituaniens et tant d’autres qui ont été envoyés, pour certains à treize ou quatorze ans, dans un pays dont ils ignoraient tout, en semi-prisonniers, corvéables à merci dans les usines, les mines, ou les fermes.

Lors de la cérémonie de remise du prix, Ludmilla Oulitskaïa, membre du jury et marraine de Memorial, a salué cette « matière précieuse de la mémoire historique » que les deux historiennes ont permis de mettre à jour.  A la tribune de l’auditorium de la Fondation, lui ont succédé les deux femmes, les deux « Irina » les appelle-t-on ici, qui dans un russe sobre, visiblement émues, racontent comment elles ont refusé cet ostracisme historique envers les « ostarbeiter ». 

Après la cérémonie, Ludmilla Oulitskaïa me dira, « Ost explore un champ ignoré de nous tous. Dans ma famille, quelqu’un a été envoyé en Allemagne comme ostarbeiter, et je me souviens de son silence. Memorial a permis de rompre ce silence. Je leur suis infiniment reconnaissante ».

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