La Double Inconstance, mise en scène par Galin Stoev pose enfin ses valises à Paris, au théâtre de la Porte Saint-Martin. Un pur plaisir. 

Il y a des heureux hasards.  Marivaux, lui-même aurait gouté, ce coup de sort, qu’un dénouement fortuit, digne d’un Deus ex machina, a permis d’en changer le triste cours. En mai dernier, l’avenir de ce Marivaux, ciselé à la perfection par Galin Stoev, directeur nouvellement reconduit à la tête du CDN de Toulouse-Occitanie, était fort compromis. Les restrictions sanitaires et la fermeture des théâtres au public, avaient mis à mal une belle tournée. N’hésitant pas à reprendre des spectacles créés dans le subventionné, leur permettant ainsi de toucher un plus large public, l’audacieux Jean Robert-Charrier, à la tête du théâtre de la Porte Saint-Martin, ne s’y est pas tromper en proposant d’héberger la pièce afin de lui donner une seconde chance. 

Après l’excellente adaptation de La Seconde Surprise de l’amour à l’Odéon par Alain Françon, découvrir le travail de Galin Stoev sur cet autre texte de Marivaux est une belle surprise du calendrier. Refusant de muséifier les classiques, le metteur en scène d’origine bulgare s’empare de l’essence de l’œuvre pour l’ancrer dans le moment présent. Ainsi, loin des contrées romanesques et champêtres tant prisées au XVIIIe siècle, il situe ce chef-d’œuvre de la manipulation amoureuse dans une sorte de laboratoire moderne aux faux airs d’usines soviétiques mâtinées d’une atmosphère baroque. 

 Enfermée dans une cage en verre après avoir été enlevée, Sylvia, une paysanne crédule, attend désespérément de retrouver son cher Arlequin, un naïf garçon des champs. Pour son malheur, elle plaît au Prince, qui, bien décidé à conquérir son cœur et à l’épouser, a chargé sa confidente et son valet, d’user de tous les stratagèmes, des pires manipulations, pour anéantir l’amour trop pur qui unit ces deux êtres. Mettant à mal la certitude des uns, la superficialité des autres, Marivaux signe une comédie de mœurs légère autant que profonde, où s’opposent deux mondes, celui simple de la vie au grand air, celui vicié des arcanes du pouvoir. 

Avec finesse et intelligence, Galin Stoev s’empare de cette satire où l’amour s’avère peu de chose face à l’ambition. Dans un décor, où se confronte l’univers aseptisé de la cour à celui foisonnant de la campagne, il donne vie aux mots du dramaturge, les fait résonner intensément dans le monde d’aujourd’hui. Tout a changé et pourtant tout est pareil. 

Porté par une troupe éblouissante, où brillent Mélodie Richard, manipulatrice au visage d’ange, Clémentine Verdier, en courtisane, la lumineuse Maud Gripon et l’étonnant Thibaut Prigent, tous deux issus de la promotion 2019 de l’AtelierCité, cette Double Inconstance est un petit bijou de marivaudage, où il est difficile de démêler le vrai du faux. En ces temps moroses, comment ne pas être charmé par ce moment de théâtre où l’on prend un grand plaisir à suivre les déboires amoureux des uns et des autres, à (re) découvrir les premiers émois de la passion, à s’enivrer de bons mots, de savoureux quiproquos…  

La Double Inconstance de Marivaux. Mise en scène de Galin Stoev. Théâtre de la Porte Saint Martin, du 7 au 24 décembre 2021 

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