Caroline Guiela Nguyen signe « FRATERNITÉ, Conte fantastique ». Un spectacle exalté présenté à Avignon et à l’Odéon à la rentrée.

Il faut avoir le cœur bien sec pour traverser FRATERNITÉ, Conte fantastique sans fondre en larmes ni partir dans un éclat de rire. Caroline Guiela Nguyen touche à ce que nous avons de plus cher. La trame est simple. Suite à une éclipse, la moitié de la population mondiale disparaît. S’ouvrent alors des « centres de soin et de consolation », qui permettent aux survivants d’entretenir le souvenir de leurs proches, en cuisinant leurs plats préférés, ou en envoyant des messages d’amour dans le cosmos sans savoir s’ils atteindront un jour les disparus. Leur besoin de consolation semble impossible à rassasier. Ce n’est pas sans conséquence. À mesure que leur chagrin croît, il ralentit leurs cœurs et les astres. La nuit éternelle les menace. La scénographie blanche et indigo fonctionne à merveille. Quelques chaises pastel, un isoloir vitré, des écrans qui diffusent des images du ciel et les pulsations cardiaques des survivants. L’intrigue se complexifie dans la seconde partie. C’est une force. Car Caroline Guiela Nguyen a l’intelligence de ne pas donner de réponse. Jusqu’où pourrions-nous aller pour retrouver ceux que nous aimons ? Comment continuer lorsque le temps n’apporte aucune réponse ? Ces interrogations sont mises en tension à travers une fiction qui sombrerait dans le mélodrame – et serait-ce si dramatique ? – si ce dernier n’était contrebalancé par un humour acide. Le tout est porté par des comédiens époustouflants. Le monde change et c’est heureux. Là où certains se vautrent dans une complaisance démagogique qui s’englue dans ce qu’elle aimerait dénoncer, Caroline Guiela Nguyen a l’audace et le talent de rassembler, jeunes et vieux, amateurs et professionnels, de montrer, à la manière de Kechiche au cinéma, des acteurs aux physiques lumineux que l’on voit encore rarement sur les plateaux. On reconnaît avec joie Anh et Hiep Tran Nghia, qui étaient à l’affiche de SAÏGON, un contre-ténor martiniquais plein de grâce (Alix Pétris), deux jeunes rappeuses (éblouissantes Nanii et Saaphyra), Habib (l’époustouflant et massif conteur irakien Saadi Bahri) ou encore Rockia (impressionnante Maïmouna Keita, qui n’avait jamais mis les pieds dans un théâtre auparavant !). 

Autre force, ils jouent ensemble. Conséquence, on y croit de la première à la dernière minute. Bouleversé par leurs histoires magnifiquement interprétées. Outre le français, les dialogues en anglais, en tamoul et en arabe. Cette dernière langue, est traduite, simultanément par plusieurs comédiens qui se font interprètes des autres. Notamment par le personnage d’Ismène di Franco (superbe Boutaïna El Fekkak) qui cherche sa fille désespérément. Caroline Guiela Nguyen retrouve cette comédienne à laquelle elle avait confié le rôle d’Emma dans Elle brûle. Et offre ici encore un rôle à la mesure de cette actrice cantonnée à des rôles étroits chez Stéphane Braunschweig. Philosophie, onirisme, émotion et cosmos : notre cœur est pris. 

FRATERNITÉ, Conte fantastique, de Caroline Guiela Nguyen, Odéon, Théâtre de l’Europe, du 16 septembre au 17 octobre 2021. 

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