Parmi les créations chorégraphiques les plus attendues de la réouverture, Transverse Orientation de Dimitris Papaioannou arrive au Châtelet et nous mène sur les traces des monstres antiques. 

« Männer umschwirr‘n mich wie Motten um das Licht », chante Marlene Dietrich dans L’Ange bleu : « Les hommes me tournent autour comme des mites, attirées par la lumière. » Et de poursuivre : « S’ils se brûlent les ailes, je n’y peux rien… » Attirance fatale, sujet éternel. À la place de la source lumineuse, Dimitris Papaioannou fait apparaître le Minotaure. Bête noire, obscur abyme de notre inconscient. Son corps fascine, sa peau ténébreuse envoûte. Le corps de Breanna O’Mara, allongée sur le dos du monstre telle l’Olympia de Manet, y brille dans toute sa blancheur. Lumineuse, en effet. Pasiphaé presque diaphane ne sort pas des eaux mais les perd lentement, donnant naissance au Minotaure. Puis se transforme en fontaine à champagne pour remplir les verres des hommes qui bourdonnent autour de son sourire. L’affaire de Papaioannou, ce ne sont pas les mites mais une secrète animalité humaine, ces mythes qui fondent notre manière de voir et de ressentir. Il n’en fait pas le récit, mais se saisit de leurs motifs, pour créer un kaléidoscope des sensations. 

Metteur en scène et chorégraphe, Papaioannou est avant tout un dessinateur chez lequel toute création commence par des croquis, pour imaginer des corps à la fois purs et sensuels. Qui d’autre, pour transformer deux corps humains en araignée à six jambes, pour laisser des hommes manipuler chaque articulation d’un taureau, jusqu’à se confondre avec lui ? Qui, pour ainsi inonder un plateau, coulant tantôt sous les ruines d’un temple, tantôt se transformant en mer Egée avec ses îles ? Aussi fait-il surgir, dans le cube blanc de Transverse Orientation, des images plus envoûtantes que jamais, tel un sculpteur antique à la croisée d’un Romeo Castellucci, d’un Bob Wilson, d’un Josef Nadj ou bien d’une Pina Bausch. Car, justement, il y a trois ans, il créait Since She avec la troupe renouvelée de Wuppertal, où il découvrit non seulement Breanna O’Mara mais aussi un goût nouveau pour l’humour et l’absurde, liant la légèreté au tragique. 

Même son motif à répétition, habituellement d’une poésie discrète, s’en trouve transformé et apparaît sous forme de running gag burlesque. Transverse Orientation est traversée par une poignée de silhouettes noires, telles des Sisyphe en proie à la fée électricité, condamnés à remettre éternellement en position et en marche un tube lumineux grésillant. Les corps étirés à la Giacometti, ils déplient et replient une échelle, ou bien la renversent, s’y trouvant enfermés. Peut-être est-ce cette métaphore qui finit par se retourner contre son créateur, quand le spectacle se perd dans le dédale de ses motifs méta-mythiques. Dans The Great Tamer et Since She, les tableaux se traversaient mutuellement, tissant un filet de croisements entre les époques et les civilisations. Ici, le spectacle se place entre l’Antiquité et la Renaissance. Mais dans la seconde partie de Transverse Orientation, cette fécondation mutuelle se tarit au profit d’un catalogue de tableaux et d’une scénographie qui freinent le spectacle au lieu d’en être le ressort. L’eau étant ici son leitmotiv, comment ne pas souhaiter au prodige grec un retour aux sources ? 

Transverse Orientation de Dimitris Papioannou, Théâtre du Châtelet, dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville, du 7 au 11 septembre.

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