Troublante et chatoyante, la peinture d’Alejandro Cardenas captive. Ça tombe bien, il expose chez Almine Rech cet été…

Le peintre est-il un entomologiste ou un romancier en images ? Les deux, répond, avec une stupéfiante maîtrise des couleurs et des compositions, Alejandro Cardenas (né en 1977). Ses créatures – des lianes anthropomorphes, à la peau reptilienne, tachetée, comme gemmée – s’offrent au regard dans les caissons ou les boîtiers de ses tableaux géométrisés. Mais ces mutants vivent d’une vie humaine, méditent assis, prennent la pose, se prélassent. Évoquant parfois du Yves Tanguy génétiquement modifié, ce sont des personnages à part entière, qui suggèrent mille récits possibles.

Cette exposition chez Almine Rech sera-t-elle l’occasion d’emmener votre peinture sur de nouveaux terrains ?

Il y aura quatre nouveaux tableaux et une série de dessins. Les figures des tableaux sont inspirées des mantes religieuses, mais les poses et les gestes viennent de la danse. Je collectionne les photos et j’en ai trouvés de magnifiques sur lesquelles on voit des danseurs du début du XXe siècle. L’atmosphère sera nocturne, ce qui est une première pour moi.

Vous aimez les métamorphoses, les passages d’une espèce à une autre…

L’évolution, les processus de transformations, les relations symbiotiques entre certaines espèces – tout ça me fascine. Mais j’éprouve le même intérêt pour la science et la technologie. Et j’aime mélanger celles-ci avec la nature. Mes tableaux représentent un monde où la science est si avancée qu’elle paraît naturelle. D’où mes figures, un peu humaines, un peu animales, un peu technologiques, tout ça ensemble.

Sans oublier la mode : vous avez travaillé pour Proenza Schouler… Art et mode sont liés pour vous ?

Au milieu des années quatre-vingt-dix, quand j’étais au lycée, c’était une période particulièrement intéressante, la mode qui jusque-là n’était pas très excitante devenait cool. Prada faisait des trucs dingues, très avant-garde. Tous ces gens, Tom Ford, Helmut Lang, faisaient d’une marque un univers, et c’était révolutionnaire. C’était le moment aussi où Matthew Barney devenait un artiste important. Et j’adorais Barney, il utilisait le langage du monde contemporain. Il faisait des vidéos, créait des costumes dingues, des histoires bizarres… Il y avait des échos très nets entre la mode et certains artistes.

Revenons à vos figures, elles sont dépourvues de visage…

Je ne voulais pas faire de l’abstraction. Mais si on représente quelqu’un, il monopolise l’attention et la peinture passe alors au second plan. Dans mes tableaux, la personne humaine n’est pas le sujet et les fonds sont aussi importants que les figures. Nous sommes pour ainsi dire biologiquement programmés pour nous arrêter sur les visages, aussi, en éliminant ceux-ci, je gagne en liberté. Vous savez, il m’est arrivé, en me promenant en forêt, de tomber sur des arbres qui semblaient avoir forme humaine. Le cerveau les repère tout de suite, avant même qu’on en soit conscient. Et c’est là que se situe ma peinture, avec des figures qui sont tout juste humaines, mais qui suscitent des émotions en deçà de la conscience. 

Exposition Alejandro Cardenas, galerie Almine Rech, du 30 juin au 31 juillet

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