Pour écrire sur Samuel Paty, j’ai repensé comme beaucoup de gens au Monsieur Germain d’Albert Camus. Cet instituteur qui inspira Le Premier Homme à qui Camus écrivait au lendemain de son Nobel dans une fameuse lettre : « Sans vous, sans cette main affectueuse au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et sans votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé ». Ce sont ces lettres qui donnent fierté et courage aux enseignants, j’espère que Monsieur Samuel Paty en a reçu au cours de ses années d’enseignement. Mais ce que l’on oublie souvent en lisant cette lettre, c’est la réponse de Louis Germain, instituteur à la retraite, qui finit par ces mots « je crois durant toute ma carrière avoir respecté ce qu’il y avait de plus sacré dans l’enfant : la recherche de vérité ». Voilà en effet ce que transmet un professeur à ses élèves, les moyens de poursuivre la vérité. Pour certains, cette recherche se nourrira ailleurs, il y aura des discussions en famille ou entre amis, des livres, des rencontres. Mais pour d’autres, ces moments dans la classe où « la recherche de vérité » est instituée en valeur majeure constituera une trêve dans une vie de religion, de politique, ou de consumérisme. 

Samuel Paty n’est pas mort au nom d’une caricature. Cette rhétorique appartient aux barbares qui tentent de réduire les professeurs à des « montreurs d’images » et qui, comme ceux qui couvraient les décalogues dans les églises allemandes en 33, jugent qu’il faut éradiquer les images qui ne leur conviennent pas, avant de tuer les peuples qui ne leur obéissent pas.

Non, Samuel Paty est mort parce qu’il a tenté d’enseigner à ses élèves collégiens — qui ne sont pas des enfants, cessons de les appeler ainsi, les collégiens sont des adolescents, des individus responsables qui peuvent, et doivent rendre des comptes — un droit spécifique si justement formulé par Monsieur Germain, de rechercher la vérité.

Pour écrire sur Samuel Paty, j’ai pensé aussi à Cripure. Le professeur du Sang noir de Louis Guilloux. Cripure s’avère l’un des plus grands personnages de professeur qui ait été écrit. Parce qu’il se situe à l’intersection précise de la misanthropie et de l’humanisme, de la pensée et du désespoir. Le livre est sombre, Cripure enseigne la philosophie au début de la Première Guerre mondiale, dans l’atmosphère moisie d’une petite ville, et à des jeunes gens qui sont tous condamnés à partir au front. Dans la classe à côté de la sienne, on récite des poésies patriotiques. Peu du goût de Cripure qui a deux auteurs qui l’accompagnent, le premier, Emmanuel Kant lui vaut son surnom emprunté à la Critique de la raison pure, le second, Nietzsche qui le mène à chérir en secret la révolte individuelle et l’insolence parmi ses élèves. Mais il y a Etienne. Une très longue scène de face-à-face entre l’ancien élève, sur le point de partir à la guerre, et le vieux professeur de philosophie introduit cette journée unique qui compose le roman. Avant de partir, terrorisé par le sort qui l’attend, le jeune homme est venu poser une question à son professeur, une question qu’il ne peut poser qu’à lui, parce que personne dans son entourage serait capable de lui répondre : « Je ne sais pas pourquoi je vis monsieur ». et quelques instants plus tard, « je ne sais pas non plus pourquoi je meurs ». Cripure cherche ses mots, pris au dépourvu, puis, au gré de plusieurs définitions, il répond «  le monde est absurde, jeune homme, et toute la grandeur de l’homme consiste à connaître cette absurdité, toute sa probité aussi. (…) Emparez-vous de votre bonheur, sans considération de rien, ni de personne ». C’est là une autre manière de tendre à l’élève la main pour l’accompagner dans sa recherche de vérité. À la fin du Sang noir, Cripure meurt, parce qu’il ne parvient plus à tenir dans ce monde de l’absurde. Mais à la fin du livre, ce professeur tant moqué par ses élèves, est salué dans toute la ville, chapeaux bas. Hommage à ceux qui permettent aux esprits de cheminer vers leur propre vérité.