Il y a quelques semaines, une femme m’appelle à la rédaction de Transfuge, elle a quelque chose d’ important à me dire. Elle sait, me dit-elle, que je me suis séparé de manière inamicale l’année précédente d’un des chroniqueurs historiques de Transfuge. Or avec ce chroniqueur, continue-t-elle, elle a eu elle-même de sérieux démêlés, qui ont terminé sur le ton de l’insulte. Puis elle m’explique qu’elle a gardé les SMS qu’il lui a envoyés, et que, ces SMS sont misogynes. C’est un vrai dossier #MeToo conclut-elle, et je comprends à demi-mot qu’elle souhaiterait que ce dossier soit « balancé » sur les réseaux sociaux de Transfuge, comptant sur un désir de vengeance de ma part. Il y a quelque chose de l’esprit de Vichy chez #MeToo, fondé sur la délation, qui donne le frisson.
Plus tard, je lis un article de la chanteuse Lio, qui compare Serge Gainsbourg à Harvey Weinstein, insinuant ainsi que Gainsbourg était un violeur en série. Tout le monde sait que le chanteur a pu être dur avec les femmes ; on sait aussi comme il pouvait être tendre et aimant avec elles. Quoi qu’il en soit, aucune trace de viol dans sa biographie, encore moins en série. Cette attaque publiée dans le Huffington Post, est diffamatoire et d’une lâcheté inouïe, puisque l’accusé ne peut plus se défendre. Pire, nous savons que cette attaque est un règlement de compte. Lio espérait que Gainsbourg lui fasse chanter une de ses compositions, « Souviens-toi de m’oublier », qu’il préféra offrir à Catherine Deneuve. Une fois de plus, #MeToo ressort peu reluisant de cette affaire, où derrière de grands idéaux de justice, se cachent sordidité et mesquineries. En attendant, elle a sali le nom d’un homme, et nous savons qu’il en reste toujours quelque chose, et Lio le sait aussi. Triste triomphe.
C’est contre ces tristes triomphes que Pascal Bruckner a écrit son excellent essai Un coupable presque parfait, La construction du bouc émissaire blanc. Il dresse un inventaire implacable de discours émanant de la gauche, discours prétendument progressistes alors qu’ils sont régressions, et même réactions. Avec au coeur de ce progressisme qui est la cible du livre, le néoféminisme et l’antiracisme identitaire. L’essayiste part du constat que l’homme blanc occidental est devenu l’homme à abattre. C’est un constat qu’il n’est pas le premier à faire, mais il est le premier à répertorier, les discours fiévreux et les vociférations fielleuses, toutes les formes de racisme contre les mâles blancs, sous couvert d’antiracisme ou de valeurs féministes, qui pullulent dans nos sociétés. À lire ces discours les uns après les autres, nous prenons conscience que ces progressistes de pacotille, à la surface médiatique considérable, sont des antidémocrates virulents, pour lesquels le clair-obscur n’existe pas. Chez les #MeToo, Bruckner démontre que la misandrie, la haine des hommes, n’est pas excentrique mais centrale. Virginie Despentes bien sûr, mais Alice Goffin plus récemment, portent des discours qui ont peu à voir avec l’égalité entre les hommes et les femmes, mais tendent plutôt à défendre l’idée saugrenue, fausse, détestable, que les hommes blancs sont tous violeurs.
Du côté de l’antiracisme identitaire, Bruckner épingle ses dérives, qui renvoient à une triste époque où l’on pensait en terme de race, à l’aune des théories racialistes de Vachet de Lapouge, de Gobineau, ou d’Alfred Rosenberg, le théoricien du nazisme. Nous retrouvons la même rhétorique utilisée hier contre les Noirs, contre les Juifs, les Tziganes, les homosexuels etc.. Mais cette fois-ci, ce sont bien les Blancs qui sont pris dans la tourmente.
Les pages sur les juifs ne sont pas moins glaçantes, eu égard aux déclarations de Houria Bouteldja dont le progressisme est traversé d’un antisémitisme véhément, les juifs « sont les chouchous de la République » ; la Shoah n’est pas un détail, « elle n’est même pas dans le rétroviseur ». L’antiracisme ne peut se construire décemment en fabriquant de nouveaux racismes, qu’ils soient contre les juifs en particulier ou les Blancs en général.
Malgré cela, et c’est aussi la force de ce livre, Bruckner rappelle l’importance de l’émancipation des minorités, et l’importance de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il prend en compte la détresse des uns et des autres. Mais pas à n’importe quel prix. Pas aux prix d’un nouveau racisme, pas au prix d’un combat contre l’homme blanc occidental, fort pratique pour souder les clans, les ethnies, les sexes, mais injuste et dangereuse dans une République une et indivisible, universaliste, qui par ce principe même, inspiré de la philosophie des Lumières, s’efforce de voir ce qu’il y a de commun entre les individus et non ce qui les différencie. Il ne s’agit pas de rêver d’une île enchantée, mais au moins d’une île un peu apaisée.
Les hommes blancs sont la dernière « catégorie » humaine à pouvoir être invectivée sans conséquence pour l’invectiveur. Le white bashing doit cesser, avant que cette farce vire à la tragédie. Après tout, un homme blanc est un homme comme un autre.