katinkaMatière et mémoire, disait Bergson. Matière est mémoire, corrigerait sans doute Katinka Bock. La jeune Allemande (née en 1976) a trouvé ce dont rêve tout artiste : un matériau chargé, tout saturé de sens et de souvenirs. En l’occurrence les plaques de cuivre du dôme de l’Anzeiger-Hochhaus, haut-lieu de la presse allemande (Stern, Der Spiegel) et haut lieu tout court, puisque gratte-ciel. Seconde peau du bâtiment, ces plaques connaissent une seconde vie entre les mains de la sculptrice et céramiste : les voici écailles d’un immense cocon (Rauschen) qui s’élève sur les trois étages de Lafayette Anticipations, ou bien les voici, pliées, supportées par des cordes à linge. Métamorphose d’un matériau, mais pas trahison. Car ce qui intéresse Katinka Bock, c’est ce qui fait aussi l’essence des journaux, qui s’élaboraient dans l’Anzeiger-Hochhaus : ce point de passage et de tension où l’actualité entre dans l’Histoire, où le présent rencontre le passé. Et c’est cette temporalité paradoxale qui est à l’oeuvre dans toutes les pièces de l’exposition, de la chrysalide de Rauschen, dépouille d’on ne sait quelle immense créature, trace d’un état antérieur, à ce Gisant : des plaques de céramique blanche, comme un tumulus ou un linceul, du renflement duquel émergent ce qui pourrait bien être deux pieds. S’agit-il d’un défunt (et quel défunt, de quelle espèce ?) ou, suggère l’artiste, d’un écho aux S.D.F. qui se protègent tant bien que mal de la morsure du froid ? Hommage funéraire au passé, ou rappel des « invisibles », bien d’aujourd’hui ? Même jeu sur les temps avec ces cactus en bronze, moulés directement sur la plante : destruction et création, monument à ce qui a été détruit pour qu’advienne l’oeuvre présente…

Exposition Katinka Bock, Tumulte à Higiénopolis, Lafayette Anticipations, jusqu’au 5 janvier