theatre

Comment est né le désir de monter Quills avec Jean-Pierre Cloutier ?

Je connaissais la pièce, et le film. Je trouvais que l’adaptation avait été un peu édulcorée, mais c’était un bon film. Nous avons découvert avec Jean-Pierre Cloutier que la pièce n’avait jamais été traduite en français. Nous nous sommes demandés si ce n’était pas une pudeur, puisque Sade a une réputation philosophique importante en France, et la pièce prend des libertés avec la vie du marquis. Même si ça se passe à Charenton et que les noms sont vrais, le marquis finit tout de même découpé en morceaux ! Wright n’est même pas respectueux de son oeuvre, c’est du faux Sade que l’on récite. Nous l’avons traduite, il a fallut écrire en dentelles, ça avait été écrit pour donner l’illusion du XVIIIe siècle, il a fallut trouver une façon de traduire la pièce dans une langue classique, nous avons donc utilisé un dictionnaire qui date de Napoléon. La pièce est truffée de vieux français.

Pourquoi choisir de jouer vous même Sade ?

J’avais depuis longtemps envie de jouer Sade, personnage intriguant, en apparence pervers, mais habité par quelque chose de saint, conscient, libre, courageux. Quills a crée un Sade très inoffensif, fondamentalement un homme doux. Sade était plus maso que sadique, maintenant on le sait.

Vous le jouez doux ? 

Oui doux et simple. Son entourage est plus compliqué que lui. Ce n’est pas quelqu’un de dur, c’est quelqu’un de révolté, et d’incompris. J’ai toujours une attirance pour les personnages incompris, il y a quelque chose de très enfantin chez lui.

C’est une pièce écrite par Wright en réaction à la censure aux Etats-Unis… 

Oui elle a été écrite dans les années 90 contre le sénateur Jesse Helms qui s’était dit offensé par les expositions de Robert Mapplethorpe, et d’Andres Serrano. Le sénateur avait réussit aux Etats-Unis à faire couper les vivres à ces artistes. Au début des années 2000, on ne jouait plus Quills, pensant que ces questions de censure étaient derrière nous, et voilà qu’aujourd’hui on assiste un peu partout à une montée de la droite. Arrive le trumpisme, le faux discours moral hypocrite qui est une commodité pour un discours de droite, ou d’extrême droite. Il y a un débat dans la pièce sur la liberté et la responsabilité de l’artiste face à la censure qui est assez passionnant. La pièce résonne aussi dans notre contexte de réflexion sur harcèlement sexuel, quelle est la limite du harcèlement…On se demande entre comédiens, lors des scènes de libertinage, jusqu’où on peut aller.

Comment représenter l’hôpital de Charenton, lieu de folie, et de liberté ? 

Sur le plan scénographique, on a crée un monde d’illusions, de miroirs et de verre, tout se double, se multiplie, ça crée une ambiance schizophrénique, les personnages semblent un chorus d’une vingtaine de fous quand ils ne sont que trois. On joue beaucoup sur la transparence, beaucoup de scènes sont jouées de dos au public, on joue beaucoup sur ces vérités cachés, et exposés. Un lieu qui correspond à l’oeuvre de Sade. Et je joue les deux tiers de la pièce nu. 

Une mise en scène que vous qualifieriez de plus classique que vos précédentes ?

C’est en effet au 18ème siècle que nous pensions en élaborant cette scénographie : l’époque des Glockenspiel mécaniques qui à certaines heures tournaient, et montraient des images macabres, c’est une chose importante pour comprendre Sade, le démoniaque touche au divin à cette époque. Si on regarde l’iconographie biblique du 18ème, c’est très macabre aussi : tortures, suppliciés, on est face à une imagerie aussi religieuse, que sadique.

Comment représenter les femmes dans une pièce qui fait un Sade figure de la liberté de création ? 

Il y a trois personnages de femmes, qui sont extrêmement fortes, même la jeune lavandière, qui devrait être nunuche, est l’objet d’un fantasme d’amour pur de la part du marquis, c’est une femme très forte. Ce sont des modèles de pouvoir, dont la femme du marquis, qui deviennent même extrêmement dominatrices.

 Copyright Stephane Bourgeois