coulonLes lecteurs de Transfuge connaissent bien sa patte, ses collages exubérants ou ses portraits de couve qui croquent au plus juste, avec une économie raffinée, nos têtes d’affiche du mois. Les fashionistas se délectent : Vogue, Vanity Fair, Dior, etc., le trait à la fois fluide et décidé, rêveur et net, de Marc-Antoine Coulon prouve que l’illustration de mode est bien un art à part entière. Et voilà que sort ce Paris : une succession d’images, sans texte, où défilent points névralgiques de la ville, portraits d’inconnus, de stars de la musique ou de la mode, monuments ou instants fugaces… Un art de l’errance urbaine où le goût de la beauté est nimbé d’une mélancolie diffuse.

Paris, c’est une géographie intime ?

Complètement. Il y a quelque chose de très intime dans Paris, je livre beaucoup de choses de moi, en filigrane ou ouvertement. Des choses qui me tiennent à coeur, des endroits où j’ai été heureux ou malheureux, des visages qui comptent ou ont compté, des ambiances, des musiques, une partie de mes rêves d’enfant aussi… Ca tient du voyage initiatique, voire de l’analyse… Il y a quelque chose du journal intime en images.

Mais pour retranscrire cette dimension intime, vous avez dû passer par des maîtres – je pense à René Gruau…

J’ai découvert René Gruau quand j’avais quatre ans et m’en suis nourri en intraveineuse pendant longtemps. J’avais décidé, petit, que je serais René Gruau ou rien. Je voulais raconter des histoires par l’image, faire des choses aussi bouleversantes que les siennes. On retrouve mon obsession « gruesque » ici, par exemple avec les chiens qui se baladent entre des jambes en noir.

Il n’est pas innocent que la couverture arbore un oeil dans un livre de « vues » de Paris…

Je suis un peintre de l’empathie. J’aime aller chercher l’âme des gens, et les regards me fascinent. J’ai une obsession de l’oeil, l’oeil féminin en particulier. Il a quelque chose de magique, cet oeil féminin, qui se réinvente avec le maquillage, se redessine. Il y a une action plastique du maquillage sur l’oeil. C’est une surface à la fois géométriquement harmonieuse, extrêmement fragile. Comme un miroir sans tain : on voit d’un côté, pas de l’autre, et pourtant ça indique tellement de notre état d’esprit. Bien sûr, il y a beaucoup d’images sans humains, des rues vides par exemple, mais j’ai besoin de retrouver des regards, de l’humain, très vite.

C’est frappant dans votre traitement de la statutaire parisienne, qui semble prendre vie…

C’est fascinant de créer un être humain dans de la pierre, dans un matériau fait pour être statique et immobile. A Rome, je me souviens être tombé en pâmoison devant un bas-relief à Saint-Pierre de Rome, un ange ou une nymphe, je ne sais plus, et dont la fesse taillée dans le marbre vibrait.

Ce genre d’effet dans vos images, c’est votre technique qui le permet ?

Je travaille avec de l’encre que j’utilise comme de l’aquarelle. Ce que j’aime dans l’encre c’est qu’il n’y a pas de deuxième chance, que c’est plus dangereux. Si le trait est raté, il faut faire avec l’accident : j’aime beaucoup ce côté sans filet. Et l’encre permet aussi de faire des traits extrêmement précis et des flous très diffus. Le trait précis attire l’oeil du lecteur sur ce que je veux lui montrer, le flou rend l’illusion de la vie, du mouvement…

Certaines images effectivement sont d’une grande précision de trait, à la limite de l’abstraction…Je pense à Una donna piuttosto semplice, Una donna piuttosto sofisticata et La Noia…

Ces trois images viennent d’une exposition à la galerie Jaeckin. J’avais commencé par des illustrations de mode les plus classiques possibles, avec tous les détails, et j’avais retiré au fur et à mesure tous les adverbes de ce que je racontais pour ne garder que l’extrême minimum, le cri primal de la silhouette…

Vous reproduisez en pleine page la couverture d’un livre : Bonjour tristesse… Votre livre et ses images, ce sont des suggestions de romans, des prétextes à des rêveries romanesques pour le lecteur ?

Absolument. Le lecteur doit avoir la possibilité de construire son propre érotisme dans l’histoire qu’il imagine. Je sème des pistes et prends le pari de faire confiance au lecteur. J’ai ma petite histoire qui se raconte, mais grâce aux pistes que j’ai semées çà et là dans le livre, je fais confiance au lecteur pour qu’il invente la sienne.