Évènement rare dans le monde musical, l’Orchestre de Paris a créé hier soir une œuvre inédite de Ravel, la Scène 1 d’un ballet intitulé Sémiramis. A retrouver ce soir, 18 décembre. 

L’émotion régnait dans la salle Pierre Boulez, alors que le chef Alain Altinoglu est entré en scène, et que l’Orchestre de Paris a commencé à jouer les premières notes de Sémiramis. Nous étions à un moment historique, le savions, et suspendions notre souffle à chaque note de cette partition lumineuse et évanescente, composée en 1902, par un jeune compositeur de 27 ans, Maurice Ravel. Nous imaginions à chaque instant le musicien et son orchestre dévoiler cette création face à sa famille, et à son professeur du conservatoire de Paris, Gabriel Fauré. Ce concert du 7 avril 1902 au Conservatoire fut l’unique interprétation du Sémiramis, avant ce 17 décembre 2025, et l’Orchestre de Paris qui nous en offre la renaissance, grâce à la partition retrouvée dans les archives de sa fameuse maison de Monfort l’Amaury, « le Belvédère ». Il est donc inscrit dans le programme « création française », puisqu’il s’agit de la « véritable création publique de l’œuvre en France ». Qu’entend-on au cours de ces douze minutes de musique offertes par l’orchestre et par le ténor Léo Vermot-Desroches ? Une luminosité et un exotisme chers à Ravel et qui prend déjà ses racines là, dans ces teintes délicates et ces sonorités joueuses, portant l’empreinte des influences russes, ou de Massenet, mais aussi la fougue d’un désir expressif et justement rendu par le jeune chanteur français. Nous ne sommes pas si loin, dans ce chant de Sémiramis au seuil de sa nuit de noces, d’un Faune s’apprêtant à passer une après-midi de haute jouissance…

Le reste de la soirée fut à l’aune de cette ouverture historique. Rompant avec Ravel, le programme invitait la violoncelliste autrichienne Julia Hagen à interpréter l’éblouissant Concerto pour violoncelle n°1 de Saint-Saëns. La jeune femme entrait à son tour dans un dialogue extatique avec l’orchestre, et le chef, offrant une interprétation aussi virtuose que d’une grande sensibilité. 

Enfin, le dernier évènement de la soirée nous ramena à Ravel, dont on finit de célébrer l’anniversaire en ce mois de décembre : le chœur de l’Orchestre de Paris est venu s’installer face à nous et au-dessus de l’orchestre, sur les gradins, offrant un tableau saisissant de richesse de l’Orchestre de Paris, ici dans ses cuivres, ses percussions, ses harpes, son glockenspiel à clavier, bien sûr ses cordes. Cette ampleur, si rare dans les salles de concert, nous offrit Daphnis et Chloé, ballet païen et extatique du Ravel dans toute sa force. Ecrit exactement dix ans après ce premier Sémiramis, Daphnis atteste de l’explosion d’un artiste. Nous sommes dans le même univers mythologique, conduit par la même fascination païenne et chorégraphique pour les nymphes, mais cette dernière œuvre dans sa virulence, ses rythmes fous, ses ruptures, sa sensualité, est incomparable. Car comment décrire à celui qui ne l’a jamais entendu cette partition qui offre à chaque instrument ou presque de se déployer en furie ou en élévation ? L’orchestre de Paris et son chœur en ont offert une superbe interprétation, et nous avons été nombreux à la fin du concert à acclamer les musiciens, et leur chef. Ravel peut retourner auprès de ses nymphes, les musiciens veillent sur son héritage. 

Concert Ravel de l’Orchestre de Paris, direction musicale Alain Altinoglu, Philharmonie de Paris, jeudi 18 décembre 20h.