Une mise en scène spectaculaire pour une œuvre d’une beauté métaphysique : Un Requiem allemand mis en scène par David Bobée et dirigé par Laurence Equilbey est une rareté.

Ein Deutsches Requiem, ainsi intitula Brahms cette partition pour chœur et orchestre, dont les textes sont empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament, mais sans visée liturgique. En sept mouvements chantés en allemand, l’œuvre interroge la vie et la mort, la souffrance et la tristesse, tout en laissant affleurer la consolation et l’espérance. D’un ton sombre parfois traversé de colères, la musique transcende les émotions et confère à ces questionnements une dimension philosophique et universelle. Cette spiritualité profonde porte en elle une théâtralité qui se prête à la scène.
David Bobée en propose une vision apocalyptique : celle d’un crash d’avion. Devant les débris d’un appareil coupé en deux, les rescapés s’interrogent sur le sens de la vie et de la mort. Avant même que la musique ne commence et que la scène ne s’éclaire, la salle plongée dans le noir résonne de grondements sourds et inquiétants, évoquant la chute de l’avion. Les survivants apparaissent — le chœur incarne ici « une humanité collective », selon Bobée — et, durant une heure et demie, tentent de prolonger leurs vies en bivouaquant, en construisant des abris de fortune, en s’encourageant mutuellement. À la fin, ils déconstruisent la carcasse de l’avion, « métaphore des dérives humaines et d’un monde lancé à toute vitesse vers sa chute », comme pour effacer leurs traces… Ou renoncer à cette course effrénée et insensée ?
La sobriété des costumes, dominés vers la fin par des tons blanc cassé et ocre clair, bannit toute opulence superflue. Les vidéos projetées — villes dévastées, bâtiments détruits, visions de désolation, et zooms sur des tableaux anciens figurant les enfers — accentuent cette atmosphère de dépouillement et d’angoisse.
Les chœurs Accentus et de l’Opéra de Rouen Normandie révèlent toute leur maîtrise sous la direction de Laurence Equilbey. La rondeur du timbre et l’homogénéité des voix en sont les deux grands atouts, parfaitement accordés à cette musique qui tend à l’unité. La cheffe met en valeur les subtilités de l’écriture de Brahms, et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie répond magnifiquement à sa baguette dans toutes les nuances. L’apparition de la soprano Elsa Benoît, en robe blanche, dont la voix claire semble surgir des ruines, a la force de la providence. Le baryton Samuel Hasselhorn apporte, lui, une densité émotionnelle par un chant d’une grande profondeur.
Autre point marquant : l’introduction de musiques additionnelles, notamment des pages de Brahms et de Jean-Sébastien Bach réarrangées comme des chansons au bandonéon. Le spectacle s’ouvre et se referme sur ces mélodies, qui résonnent à la fois comme une résignation devant l’existence et une nostalgie de la vie.
Tout au long du spectacle, un acteur traduit les paroles en langue des signes avec une grande élégance. Ses gestes, intégrés à la scénographie, en font un personnage à part entière. On y lit un geste de bienveillance dans un monde brutal, une volonté de vivre ensemble malgré tout.
Un Requiem Allemand de Johannes Brahms, direction musicale Laurence Equilbey, mise en scène de David Bobée. Opéra de Rouen Normandie, jusqu’au 7 novembre. Et à la Seine Musicale, les 15, 17 et 18 janvier. Infos : www.operaorchestrenormandierouen.fr/










