89 ans : à lire son premier roman, oui son premier roman, on croirait qu’il en a à peine 50. Quelle verve, quel esprit, quelle drôlerie ! Mon Dieu, cet homme sait tout faire. Comment ne pas être pris par cette histoire qui tout à trac vous donne l’agréable impression, de vivre ou de revivre dans un de ses films qui nous ont tant marqués ? Comment ne pas être sous le charme de ce personnage, Asher Baum, l’écrivain new yorkais raté, névrosé, à moitié déprimé, hypocondriaque et s’autodénigrant en permanence ? Comment ne pas être emballé par cette comédie romantique, comédie romantique existentielle, comédie romantique existentielle tragique, campant ce Saul Bellow ratiocinant, aigre, mauvais bien qu’attendrissant (un looser ne l’est-il pas toujours) ? Je défie quiconque de ne pas prendre un immense plaisir de lecture à ce livre.

Une mouche a donc piqué ce Baum, et effectivement, dès le début, c’est un fait incontestable : au grand déplaisir de sa dernière femme (son 3eme mariage), Connie, il passe son temps à se parler à lui-même. L’idée est géniale, et produit des dialogues hilarants, des discussions entre lui et lui-même qui courent jusqu’à la fin du roman. Et comme il l’écrit d’emblée, de plus en plus, Baum est en désaccord avec lui-même ; on peut dire que son cerveau tourne en surrégime et que le doute l’assaille, sur à peu près tous les sujets. Baum ne se parle plus qu’à lui-même d’abord parce qu’il ne souhaite plus parler à sa femme avec qui les relations (sexuelles et affectives) sont au plus bas : éviter une énième dispute, tel est alors le but de sa vie. Et puis il est malheureux, là, à vivre à la campagne parce que sa femme en a décidé ainsi, lui qui ne jure que par Manhattan, les expos, les cinémas, les librairies. Il hait la nature, les insectes, les tics, les tortues du fond du jardin : tout cela à ses yeux n’est qu’hostilité. Et puis son roman sur l’Inquisition contre Galilée n’avance pas, pire, son éditeur a décidé de se séparer de lui. Il faut dire que ses pièces de théâtre et ses romans ont reçu de très mauvaises critiques, sans parler des chiffres de vente. Parlons du frère, Josh, le riche agent immobilier à qui tout réussit ; il l’adore, mais il ne peut s’empêcher quand il le voit de penser qu’il a eu des relations sexuelles avec sa femme ; c’est que Ash Baum parmi ses nombreux défauts, est paranoïaque !

Mais là n’est peut-être pas le pire : un énorme problème se pose à lui, il s’appelle Thane, c’est son beau-fils, beau comme un dieu, que sa mère adule, et qui a fait paraître un premier roman considéré par le tout New York comme un chef-d’œuvre ! Bien sûr, Asher Baum le déteste.

Si le roman s’en était tenu là, il aurait été déjà un très bon roman ; un parfait roman d’atmosphère. Mais d’une main de maître, comme s’il était romancier depuis toujours, Woody Allen soigne sa narration, et d’incroyables coups de théâtre vont ponctuer et relancer l’histoire pour notre plus grand plaisir. Asher Baum ne risque-t-il pas un #MeToo pour s’être « accroché à des seins » en tombant dans un ascenseur ? Et Thane, son roman à succès, ne pose-t-il pas un petit problème qui risque lui aussi de le voir déchoir ?

89 ans-109 ans. Voilà l’âge canonique auquel on aimerait voir mourir Woody. 20 ans : le temps de poursuivre sa nouvelle carrière, et nous pondre d’autres comédies dramatiques de ce niveau-là. Woody, toi qui ne nous as jamais déçus, we are trusting you !