Le metteur en scène et réalisateur Kirill Serebrennikov nous a accueilli en répétition d’Hamlet/ Fantômes, création musicale et théâtrale autour d’Hamlet et de ses doubles. De Judith Chemla à August Diehl, une distribution hors du commun.

Hamlet Fantômes – Répétitions – Théâtre du Châtelet © Vahid Amanpour

Sous son éternelle casquette noire, Kirill Serebrennikov se déplace sur le vaste plateau, et donne des directives à voix basse aux uns et aux autres. Il sourit peu, passe du français, à l’anglais, au russe, et en quelques mots, livre sa vision de la scène qui vient de se jouer. Dans ce vaste espace de la fondation Fiminco, à Romainville, usine repensée en lieu de répétitions, se prépare une pièce étrange, très théâtrale dans ses scènes, ses situations, mais dont la musique, composée par Blaise Ubaldini, offre une tension et une émotion constantes. Une pièce divisée en dix longues scènes qui sont autant de variations sur un même thème, Hamlet. Et face au plateau, l’orchestre de l’Ensemble intercontemporain jouera la musique pendant une grande partie du spectacle. Nous sommes à l’orée du théâtre, de l’opéra, et du cinéma, puisque des caméras arpentent la scène pour saisir les visages des différents acteurs. « C’est fascinant, tout est mélangé, et il parvient à tenir tout cela avec un grand sens technique, il nous offre un delta de jeu qui peut aller jusqu’à quelque chose de très fin » m’explique à voix basse Bertrand de Roffignac qui joue dans cette pièce différents personnages, dont un fossoyeur rocambolesqueet autres figures dérivées du prince d’Elseneur. Hamlet ?Telle est la question, car le metteur en scène russe ne veut pas d’un Hamlet mais de Hamlets qui s’entrecroisent et se confrontent sur la scène. Serebrennikov entretient une relation complexe à la pièce : « Vous savez, dans le théâtre russe, Hamlet est la pièce-clé, d’où tout part, avec La mouette. Donc oui, je sais que la pièce était présente dans beaucoup de mes créations, mais jamais évidente. » Bien sûr que l’on pourrait conjecturer que Limonov dans son impuissance et ses rêves d’action totale, que le jeune artiste de Leto dans son idéal premier, doivent un peu à l’esprit du prince danois, mais son lien à la pièce est à la fois plus profond, et plus universel que cela : « Quand on m’a demandé d’en faire un ici, j’ai donc réfléchi, j’avais peu de temps, et je me suis dit que je voulais travailler avec des fantômes d’Hamlet, parce que je crois que le personnage est inscrit dans notre inconscient collectif. J’ai voulu un Hamlet allemand, un Hamlet russe, sous les traits de Chostakovitch, un Hamlet féminin, français, qui serait aussi Sarah Bernhardt, puisqu’elle l’a jouée en face de là où nous allons le jouer, place du Châtelet. Partout en Europe, Hamlet est non seulement devenu une partie de notre inconscient, mais je dirais même qu’il détermine notre inconscient. L’hamletisme qui allie beaucoup de réflexions à l’inaction, est à mon avis ce qui marque notre temps, particulièrement dans le monde des intellectuels. Bien sûr, je ne parle pas de l’action militaire… » Cet Hamlet penche donc du côté de la tristesse de l’artiste, de la solitude du penseur européen dans un monde qui bascule dans le désordre absolu, c’est-à-dire la domination du bras armé, et l’oubli du souvenir même de la justice. Sentiment familier à Serebrennikov et à son équipe qui s’affaire sur le plateau autour de lui, de la même manière qu’ils le faisaient au théâtre Gogol à Moscou, avant qu’ils ne quittent la Russie en 2022, quelque temps après l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine. Je reconnais sur le plateau l’allure courte et féline de Nikita Kukushkin, un des acteurs fétiches du metteur en scène ; il joue dans les pièces de Serebrennikov depuis dix-sept ans, « j’ai joué avec lui la moitié de ma vie, Kiril, c’est un peu mon papa », s’amuse l’acteur.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

Hamlet / Fantômes, écriture et mise en scène Kirill Serebrennikov, musique Blaise Ubaldini, direction musicale Pierre Bleuse, Théâtre du Châtelet, du 7 au 19 octobre.