Le Libanais Charif Majdalani signe avec Le nom des rois le livre le plus proustien de la rentrée. Fabuleux.
L’enfance de Charif Majdalani fut héroïque. Non pas au sens physique du terme-rien à noter de ce côté-là mais au sens où tout pour lui, comme pour tant de petits garçons, est épique. Le monde pour le petit Charif qui n’aime pas beaucoup jouer avec ses camarades, n’est pas simplement ce qu’il est : son imaginaire est traversé par l’histoire des rois et des empereurs, des guerres, des conquêtes, des victoires. Le petit de Beyrouth, romantique, lyrique comme on peut l’être à cet âge, ne jure que par Alexandre le Grand, Napoléon, Rodéric et autres grands conquérants. Imaginez sa joie quand un jour arrive en classe le fils du roi de l’archipel du Verseau, Walid Abdesallam Ibn Wardane ! En proustien, le réel se transforme systématiquement en un monde mythologisé, magnifié, et la simple évocation du nom d’un roi l’entraîne dans des rêveries infinies, le rendant heureux.
Solitaire mais entouré de rois, le petit Charif vit dans un Liban eldorado. Un âge d’or où Dizzie Gillepsie y jouait de sa trompette be-bop, où Béjart représentait ses ballets et où Stockhausen faisait jouer ses compositions musicales dans la grotte de Jeita en 1969. Au casino du Liban chantaient Dalida, Brel et Armstrong ; Jean Seberg, Aragon Belmondo, Cocteau passaient par là, et Merce Cunningham donnait un spectacle au festival de Baalbeck. Le Liban était le centre d’un monde chic et artistique.
Ce monde, bien sûr, va s’effondrer à cause de la guerre civile libanaise qui éclate en 1975. Sa famille doit fuir Beyrouth, à feu et à sang, déchiré par les combats entre les milices chrétiennes et les Musulmans, notamment proches des terroristes palestiniens de l’OLP. Ils fuient dans les montagnes où ils possèdent une maison, au village de Massiaf, et le roman devient d’apprentissage. L’adolescence chez Cherif correspond à ce moment où confronté à la guerre, à la vraie guerre, la beauté des épopées qui le galvanisait petit, lui semble une erreur. Pire : ses illusions tombent ; la guerre est saleté et laideur. Pendant presque trois ans, Cherif ne va plus à l’école, et il nous décrit une société libanaise de reclus, vivant pour certains à l’hôtel, jouant inlassablement aux cartes, sur de grandes terrasses. On quitte Proust pour Tchekhov. On y croise de troubles personnages comme ce Loulou qui annonçait depuis longtemps au père de Charif l’arrivée de la guerre. Est-il un espion ? Charif reste solitaire, loin des garçons de son âge, mais tombe amoureux de Clara, donnant lieu à très belles pages sentimentales. Les milices chrétiennes rôdent, chargées de protéger cette petite société libanaise ; régulièrement, on entend des coups de feu dans les montagnes, alors que Charif et son ami Antoine Kfouri deviennent hommes, pacifiques et intellectuels.
Un grand roman, à la plume proustienne, lumineux et tragique.
Charif Majdalani, Le nom des rois, Stock, 215p., 20 €