La galerie Daniel Templon qui fête ce mois-ci ses 60 ans propose dans ses deux espaces une extraordinaire exposition de Hans Op de Beeck. Embarquement immédiat pour le rêve et l’étrange. Et rencontre à Bruxelles…
Bruxelles ma belle, chantait le trop oublié Dick Annegarn. Un quartier « sensible » aux nombreuses femmes voilées et aux dealers à la cool. Parfois, paraît-il, un son pittoresque se fait entendre : une décharge de kalach, comme une sympathique mélopée locale, agite quelque instant l’apparente quiétude belge. « Le roi et la reine sont venus récemment poser pour moi, me confie Hans Op de Beeck, naturellement, avec beaucoup de service de sécurité autour d’eux. La situation était un peu surréaliste ». On veut bien le croire. Hans Op de Beeck est grand, beau, accueillant et disert. D’une trompeuse apparence de réserve, l’artiste qui me reçoit dans les bureaux de son petit immeuble-atelier au design épuré de bon ton, cache en effet bien son jeu. Lancez-le avec une question et les vannes s’ouvrent avec autant de débit furieux que l’eau libérée d’un grand barrage. Son patronyme ne signifie-t-il pas littéralement Sur le Ruisseau ? Jean Saute-Ruisseau donc, aussi à l’aise dans le dessin, les vidéos que dans la reproduction hyperréaliste en trois D de personnages et d’objets semblant sortis d’une version lynchienne de Pompéi. Si inquiétante que l’on se prend à penser : suis-je mort et eux, vivants ? Rêvé-je ce qui semble m’aspirer dans un autre monde ? Cette pétrification engendre chez l’observateur un état d’apesanteur ou de narcose étrange, comme si l’intrus se trouvait à son tour pétrifié par un disciple du docteur Frankenstein. L’extraordinaire exposition d’Anvers, tout juste achevée, était à ce titre une expérience inouïe. Ses intérieurs, ses scènes extérieures, natures mortes et silhouettes humaines saisis dans la glaciation d’un temps imaginaire capturaient des moments suspendus en dehors de toute narration linéaire classique. La double signification de « Vanishing » (« Disparaître soudainement et entièrement » ou « Devenir zéro »), titre commun aux deux expositions parallèles chez Templon rend bien l’idée chez Op de Beeck de ces éclats d’instants pendant lesquels l’être humain se déleste de ses repères « pour glisser vers un état de perte de soi et d’intemporalité ». Ses installations sculpturales monumentales, souvent monochromes, explorent tour à tour la notion de temporalité, mais aussi la mémoire et la condition humaine. Méditation silencieuse et instant d’émerveillement, l’œuvre de Hans Op de Beeck ne cesse d’interroger la relation parfois absurde, entre l’homme et la réalité, telle qu’il croit la percevoir…

Découvert par Pistolleto

Fils de parents enseignants peu intéressés par l’art, Hans Op de Beeck a longuement cherché sa voie, effectuant tous les petits métiers imaginables pour vivre. Fan de bande dessinée, en particulier de Tardi et d’Hugo Pratt, possédant un bon coup de crayon qu’il utilise à ses heures perdues pour imaginer des mondes en bulles de comic strip, le jeune homme finit par s’inscrire à l’Académie Nationale d’Amsterdam à l’approche de la trentaine. L’un de ses professeurs, le grand artiste italien Michelangelo Pistolleto, remarque ses réalisations de sculpteur au-dessus du lot et le pousse à venir présenter son travail à Milan et à Turin. La suite est connue… Célébré dans le monde entier, le créateur flamand a curieusement longtemps subi l’indifférence polie de ses compatriotes, une anomalie qu’une récente rétrospective à Anvers a enfin réparée. « Cette non-reconnaissance locale ne m’a jamais attristé, juste étonné, mais ça n’a jamais été un problème, j’ai toujours eu trop de projets en cours pour m’arrêter sur ce genre de détail », me confie Op de Beeck alors que nous nous dirigeons vers une salle munie d’un petit amphithéâtre avec, lui faisant face, un grand écran servant, entre autres, à projeter régulièrement aux visiteurs professionnels ses travaux sur vidéo : « j’en ai réalisé vingt-cinq à ce jour. Le grand écran me permet aussi d’expérimenter les montages, revenir parfois sur des détails de ces films. J’aime cette pièce car je peux y recevoir des groupes et entamer des échanges lors de débats toujours nourrissants ».
La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge
Hans Op de Beeck, On Vanishing. Double exposition, du 13 septembre au 31 octobre, Galerie Templon Paris, Rue Beaubourg et Rue du Grenier-Saint-Lazare.