Auréolé du Prix Maratier en 2022 décerné par la Fondation pro mahJ, Pascal Monteil expose six de ses broderies au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MahJ), comme autant de récits errants et éveilleurs, aux sources du judaïsme. Une exposition à l’humanisme poignant, à l’heure où l’antisémitisme explose.

Pascal Monteil, Llanto por la Monja Gitana, 2016, Laine brodée sur toile de chanvre, 90 x 280 cm, Collection privée © Celia Pernot – courtesy Galerie Regala © Paris, Adagp, 2025

            Il brode, sur sa terrasse ensoleillée d’Arles, face aux Arènes, allongé, à l’antique, le bras répétant inexorablement le geste fluide d’un peintre (ce qu’il est aussi) pour tirer d’innombrables fils colorés venant dessiner ses propres récits mythologiques sur de grandes toiles de chanvre. Récits faits d’entrecroisements d’imaginaires rêvés et de traces historiques indélébiles. Cela aurait pu être les Mille et Une Nuits ou L’Epopée de Gilgamesh, autres fresques entremêlant avec délice mythes fondateurs, légendes dorées et creusets historiques. Conteur hors pair (il annote aussi des carnets), Pascal Monteil entremêle ses fils, au sens propre comme au figuré, dessinant des défilés de personnages à la tendreté d’apparence naïve sur une toile de fond beaucoup plus tragique. Les petits riens – robe multicolore, carriole bancale, trompettiste volant – contant les grandes destinées et les drames humains. Pour le Mahj, six de ces broderies viennent en miroir des collections permanentes. Toutes se rapportant à l’histoire de l’errance, de l’exil, des réfugiés sur le fil du judaïsme, dont Monteil se dit être l’héritier spirituel, descendant, explique-t-il, d’une famille marrane sous l’Inquisition espagnole au XVe siècle, devant fuir vers la Provence.

« Le marrane est celui qui navigue entre deux mondes » dit-il. « Je suis né dans un petit village entre Uzès et Anduze qui a vu passé le pape, les Juifs de Gérone se réfugiant dans le Gard et Nostradamus, un autre marrane qui inventait des mondes. J’ai imaginé ces trois entités traversant le jardin de mon enfance où se trouvait non loin un temple protestant au milieu des vignes alors que l’on a retrouvé sur cette terre le plus ancien sarcophage juif de France. » Monteil raconte, avec une érudition jouissive et lumineuse, ne cessant de faire des ponts entre les âges, les époques et les croyances. Sur une autre de ses fresques brodées, il dit avoir pensé à tous les écrivains, poètes, peintres qui ont dû quitter l’Espagne aux côtés des Juifs contraints à l’exil, dépouillés de tout. Voici alors, née de ses fils à la cambrure fragile, cette grande procession de corps maigres, certains endormis, parfois gisants nus à l’image de martyrs, marchant sur les poètes et les livres ensevelis. Voici Simone Veil et Marceline Loridan entre des arbres décharnés avec en tête de file, le rabbin et la Torah dégoulinant de larmes. Paysages à la perspective volontairement déséquilibrée, comme dans cette toile, inspirée du peintre géorgien Niko Pirosmani, autre vagabond disparu qui représentait des banquets où les personnages ne sont que d’un seul côté de la table pour mieux admirer le paysage. Celui de Monteil est la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne. Tandis que sur la table de son banquet, la vaisselle et les serviettes auraient été dessinées par Giorgio Morandi et Etel Adnan au milieu de couples improbables : Adele Bloch-Bauer, la maîtresse de Klimt, avec Judas qu’elle nettoie de ses péchés, Leonor Fini et le réalisateur Sergueï Paradjanov…

Quand tout ailleurs si bien s’effondre – Photo : mahJ, Christophe Fouin

L’histoire de l’art s’entremêle à l’histoire biblique, les références pleuvent dans une iconographie faussement candide rappelant les dessins d’enfants. Voici Philip K. Dick, autre amoureux des uchronies, Friedensreich Hundertwasser, Fernando Pessoa… « Quand tout ailleurs si bien s’effondre » énonce la grande broderie acquise par le Mahj. Une procession de juifs, fuyant le nazisme cette fois, jusqu’en Lituanie où le Japonais Chiune Sugihara les a sauvés en leur procurant des visas pour traverser la Sibérie. « Au moment où je faisais cette toile, j’ai appris qu’une toile d’un Juste avait été retrouvée dans ma famille, je l’ai donc utilisée pour y broder l’histoire d’un autre Juste. » Monteil construit des tours de Babel brodées où tous ses héros se rencontrent, au creux des sillons malicieux et torturés de ses fils colorés jusqu’à sa Jérusalem céleste qui danse et qu’il imagine construite par Ettore Sottsass. Monteil est aussi très inspiré par l’écrivain israélien Aharon Appelfeld qui « recrée par la littérature l’enfance heureuse à laquelle il a été arraché lorsqu’à 7 sept ans, sa mère est tuée par les Nazis et son père déporté avec lui » explique-t-il. La broderie comme un espace-temps sans frontière que l’artiste façonne patiemment par des gestes qui correspondent au temps long de l’histoire. Rituel des fils qu’il a découvert un jour en Iran, fasciné par un groupe d’hommes au fond d’une cour qui était en train de réparer un kilim. Il abandonne alors les voyages et la peinture pour une retraite de brodeur solitaire à Arles. « Cette exposition est très importante pour moi d’autant plus dans le contexte actuel car je suis très engagé contre l’antisémitisme. Je souhaite parler du judaïsme pour en faire une histoire commune qui est toujours vivante et en montrer les connexions. Mon obsession est de créer des lieux où les pensées contradictoires peuvent cohabiter. »

Pascal Monteil, jusqu’au 4 janvier 2026, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, mahj.org