D’un délectable exercice de style, Jean-Baptiste Del Amo tire un roman sensible et parfaitement maîtrisé. Dont la matière n’est autre que le temps.
On aurait tort de bouder les livres « à la manière de », au motif que le plaisir, bien réel, qu’ils dispensent serait de seconde main.
On aurait tort, ainsi, d’écarter, avec la condescendance paternelle de qui pardonne une coupable quoiqu’inoffensive faiblesse, le dernier Jean-Baptiste Del Amo en prétextant qu’il est tout entier imbibé de Stephen King (avec des lambeaux de Lovecraft) et qu’y résonnent, de page en page, les échos du canon du cinéma d’horreur, de Wes Craven à Cronenberg.
On aurait tort, d’abord parce qu’on se priverait, au nom du culte discutable de l’originalité, des fruits d’un indéniable savoir-faire : cette transposition dans la France provinciale des années 90 du matériau psychique et générationnel (amitiés, émois, angoisses et terreurs d’un groupe de lycéens) d’une veine horrifique très américaine est conduite avec une souple aisance, un sens remarquable du paroxysme et les morceaux de bravoure ne sont jamais de complaisants isolats, prenant au contraire tous place dans une architecture générale fermement concertée.
Mais, surtout, qu’il s’agisse de restituer, dans toute son épaisseur (culturelle, émotionnelle) la substance d’adolescences des années 90, ou de confronter le sentiment d’un avenir bouché, répétitif au désir et à la possibilité du changement, La Nuit ravagée offre un magistral traitement romanesque du temps. Dont la maison infernale, maudite, qui constitue le cœur noir du livre et le pôle magnétique autour duquel gravitent ses personnages, devient l’inoubliable incarnation.
Jean-Baptiste Del Amo, La Nuit ravagée, Gallimard, 464 p., 23€