Jetant une clarté aiguë, tranchante, dans un monde où l’instinct et les pulsions semblent dominer, Franck Mignot fait forte impression avec son deuxième roman.
C’est un monde où les femmes lassées de la conjugalité « vont au bois » cocufier leur mari ; où les gamins reluquent un simple d’esprit exhibitionniste, contre paiement de l’intéressé, alors que celui-ci se livre aux joies d’une jouissance qui n’a plus de solitaire que le nom ; un monde où les mains des amants des mères adultères sentent la merde ; où les Shirley dépucèlent les garçons à la chaîne ; où des fumeurs de Gitanes Maïs se retrouvent dans des boîtes où joue un groupe de reggae ; un monde où ça boit, ça chasse, ça tire, où on part sur les sentiers avec les chiens « pour leur donner le goût de la chasse » – et où, comme Jimmy, le narrateur, dont la mère « va au bois » avec son instituteur, on s’agite et on frétille comme un cabot tout excité quand ledit instit rend visite à sa génitrice.
La peinture est crue, la langue économe, sèche, seulement relevée ici et là d’une tournure régionale, qui claque comme une détonation. Rien d’étonnant. Contrairement à ce que l’énumération qui précède pourrait laisser croire, Les Viandards de Franck Mignot ne vivent pas dans le chaos informe de l’anomie. Avec l’acuité pénétrante du moraliste, Franck Mignot met au jour les lois qui régissent les comportements, décortique les particularités des caractères, énonçant peu à peu les règles en vigueur dans l’univers de Jimmy. C’est là toute la force du livre, qui repose sur une tension perpétuelle entre l’exacerbation des forces du désordre – alcool, sexe, infractions aux normes sociales – et la rigueur analytique mise en œuvre.
Franck Mignot, Les Viandards, P.O.L, 208 p., 19€