Grandeur et misère de Birmingham : Rencontre avec le chorégraphe Benoît Swan Pouffer et Stephen Knight, auteur de la série Netflix, pour la création d’une comédie musicale qui met à l’honneur la Rambert, plus ancienne compagnie de danse britannique.

Septembre 2023. Birmingham, ville sinistrée, première municipalité britannique à mettre la clé sous la porte. C’est la fin des services publics et sociaux. La déroute rappelle l’époque des Peaky Blinders, célèbre série Netflix située à l’issue de la Première Guerre mondiale. L’affrontement entre le gang mené par Thomas Shelby et les « Italiens » a conquis les cœurs de millions de spectateurs. Mais si leurs aventures ont lieu à Birmingham, les scènes ayant pour décor des sites historiques ont été tournées à Liverpool. La faute à l’urbanisme d’après-guerre, faisant suite aux destructions du « Birmingham Blitz » de l’armée de l’air hitlérienne en 1940. Et même si Liverpool fut à son tour criblée de bombes nazies, l’équipe de tournage des Peaky Blinders y trouva des lieux préservés. Rues populaires, quartiers bourgeois, le St. George’s Hall… Stephen Knight, l’auteur de la série, regrette le déménagement. Non que le résultat lui paraisse moins vraisemblable. Mais il est un authentique enfant de Birmingham. A l’automne 2024, il était venu à l’Empire Theatre de Liverpool, à l’occasion des représentations de Peaky Blinders The redemption of Thomas Shelby, grandiose suite de tableaux chorégraphiques et musicaux présentée par la Rambert, compagnie londonienne aujourd’hui dirigée par un Français, Benoît Swan Pouffer. A l’issue de la première sur les rives de la Mersey, Knight s’excuse d’emblée : « Je suis aphone. Hier j’étais au match de foot, je suis supporteur du Birmingham City F.C. » Il insiste sur ce lien fondamental qu’il entretient avec les racines sociales de son histoire, outre les nominations aux Oscars et autres Golden Globe : « Je veux raconter des histoires de famille et de la classe ouvrière. Dans la société anglaise, la question des classes est aujourd’hui encore incontournable. » 

Les origines des vertiges

Créé en étroite collaboration entre le chorégraphe et l’auteur de la série, ce show grand format, rock et intense, n’est pas au sens strict une transposition de la série sur le plateau. La danse suit ses propres lois en matière de dramaturgie et de tonus, de spatialité et de rythme. Et pourtant Knight, qui ne s’était jamais intéressé à la danse, constate qu’une dimension corporelle et même une note chorégraphique sont déjà présentes à l’écran. Si le spectacle s’inspire des personnages, relations et événements de la série que Benoît Swan Pouffer (BSP) dit avoir regardé « dans tous les sens », le public n’a en rien besoin de faire pareil pour se laisser embarquer par les drames, ambiances, musiques et couleurs. Et surtout, par les personnages dont chacun s’exprime avec force de caractère, énergie et gestes personnels.  « Un corps », dit BSP, « raconte toujours beaucoup d’histoires. Nous avons mené de longues recherches avec les danseurs pour comprendre ce que Shelby, Grace et les autres nous racontent. De fil en aiguille, j’ai trouvé les qualités de mouvement de chacun. » Peut-il arriver qu’on comprenne mieux un personnage par la danse que par la caméra ? « Stephen voulait donner des indices pour savoir pourquoi ces gens sont si violents et émotifs, ce que l’on ne comprend peut-être pas tout à fait dans la série qui met en avant la guerre des clans. C’est pourquoi la première scène du spectacle joue dans les tranchées. On voit les atrocités et d’où vient le traumatisme de ces jeunes. » La première partie, à grand tempo, est à l’image de ces vertiges et reprend des motifs clé de la série : La famille et les camarades de Shelby, sa rencontre avec Grace, la mort de Grace et la lutte de Shelby pour ne pas sombrer. Par la seconde partie, Pouffer entend créer une empathie plus personnelle : « On rentre dans la tête de Tommy avec ses questionnements, sa peine, sa colère. » Et Knight de préciser qu’il s’agit de « voir comment Tommy fait face à l’assassinat de Grace et puis à l’étrange retour de celle-ci, car il y a aura toujours des éléments surnaturels dans Peaky Blinders. »

Rencontres historiques

Pour BSP, Peaky Blinders est sa plus grande aventure à ce jour : Deux heures de danse et de musique, dix-huit danseurs, cinq musiciens et 1.500 éléments de costumes, sans simplement copier ceux de la série. Bien sûr qu’ils portent les casquettes à visière (peaky) avec leurs blinders, terme qui pourrait faire allusion à leur quête d’une élégance « aveuglante » mais probablement aussi aux lames à rasoir servant à entailler les visages de leurs ennemis. Sans angélisme, la série et le spectacle dressent le portrait d’une époque violente, celle qui vit naître la Rambert, première compagnie de ballet du Royaume-Uni, fondée en 1926 par Marie Rambert, Juive polonaise née en 1888. Deux ans plus tard naît le vrai Thomas Shelby qui devient directeur d’une usine birminghamienne en 1923. Et il n’est pas improbable que des membres du gang originel des Peaky Blinders – Steven Knight s’appuie largement sur des faits historiques et les récits de ses propres parents – aient assisté à un spectacle de la Rambert, puisque la compagnie se produisait aussi dans les usines de l’ancien centre industriel du pays, dans un contexte de pauvreté, de règne des clans et de criminalité organisée. Les musiques rock aux accents souvent menaçants qui précipitent les événements viennent de Roman Gianarthur, nouvelle vedette du RB américain qui choisit ici des titres sont souvent explicites : Blood Wedding, Not my gun, Devil inside me… Mais les fans de la série entendront aussi, par deux fois, la chanson iconique de Nick Cave, Red right hand. Zéro kitsch et 100% énergie rebelle : Cette fresque dansée va booster la carrière de BSP en Europe, où on connaissait peu ce chorégraphe formé comme danseur au Conservatoire de Paris (CNSMD), puis interprète phare à New York au Alvin Ailey Dance Theater et directeur du Cedars Lake Ballet, avant de prendre les rênes de la compagnie londonienne. Entretemps, Knight prépare la suite des Peaky Blinders pour le cinéma. Lui qui accuse Birmingham d’un urbanisme table-rase et d’être « la seule ville où l’autoroute périphérique passe par le centre » est heureux d’annoncer que le tournage aura lieu dans la ville natale des Peaky Blinders. Même si ce sera en studio. Il confie par ailleurs songer à une scène où la Rambert se rendrait à Birmingham, pour donner le Lac des Cygnes…                          

Peaky Blinders The redemption of Thomas Shelby, de Stephen Knight et Benoît Swan Pouffer, La Seine Musicale, Paris, du 12 au 30 mars

Visuel : PEAKY BLINDERS by Knight, , Writer – Steven Knight, Choreographer and Director – Benoit Swan Pouffer, Music – Roman Gianarthur, Designer – Moi Tran, Lighting – Natasha Chivers, Costumes – Richard Gellar, Rambert, 2022, Credit: Johan Persson/