L’ancien prix Pulitzer Richard Russo revient avec le troisième volet de sa trilogie commencée par Un homme presque parfait. Un régal d’humanisme !

       Au mitan des années 1990, une éditrice avisée eut la bonne idée d’importer en France un écrivain du nom de Richard Russo. On ne remerciera jamais assez la regrettée Marie-Thérèse Caloni d’avoir allumé la mèche en publiant la traduction d’Un homme presque parfait qui venait d’être porté à l’écran par Robert Benton avec Paul Newman dans le rôle principal. Celui de Donald « Sully » Sullivan. Un loser magnifique, pilier de la petite communauté de North Bath, une station thermale au nord de l’état de New York dont les sources se sont taries. Lequel Sully, irréductible bougon et rebelle, nous apparaissait là comme un sexagénaire chômeur après un accident du travail qui l’avait laissé avec un genou défaillant, en procès avec son ex-patron divorcé et en bisbille avec ses enfants. John Irving résumait parfaitement ce qu’on ressentait en s’immergeant dans le quotidien immuable de Sully et de toute la réjouissante population de North Bath : « Cette grâce naturelle de conteur associée à la compassion pour ses personnages font de Richard Russo un romancier admirable ». Couronné par le prix Pulitzer pour Le déclin de l’empire Whiting, l’écrivain américain nous a permis de retrouver ses personnages dans A malin, malin et demi puis aujourd’hui dans Le testament de Sully. Trop endettée, la ville de North Bath a désormais été annexée par sa rivale et voisine, Schuyler Springs. Cette institution qu’est la White Horse Tavern décline aussi sérieusement. Birdie, sa propriétaire, aimerait bien passer la main. L’un de ses associés minoritaires n’est autre que Peter Sullivan, professeur à plein temps au community college qui a fondé un quotidien alternatif, le Schuyler County Arts. Le fils du défunt Sully, l’homme presque parfait et à la fameuse routine disparu depuis dix ans. Celui qui avait participé au débarquement en Normandie, n’avait jamais eu de carte bancaire et réglait tout en liquide. Celui qui a laissé à Peter une liste de gens sur lesquels veiller. Dans les parages, voici aussi Douglas Raymer, l’ancien chef de la police dont la compagne, Charice Bond, lui a succédé après avoir été sa subalterne. Ou le Dr Qadry, la psychiatre qui recommande à ses patients d’assumer leurs erreurs pour les neutraliser en les privant de leur pouvoir destructeur. Sans parler de Rub, le veuf qui essaye de prendre enfin les rênes de sa vie malgré ses sérieux problèmes financiers. On ne se lasse pas de l’humanisme dont fait immanquablement preuve Richard Russo dans Le testament de Sully. De sa générosité jamais démentie à décrire avec subtilité les aléas du quotidien de ses protagonistes incarnés. Avec leurs secrets, leurs petits arrangements et leurs élans qui les rendent bigrement attachants.

Richard Russo, Le testament de Sully, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Quai Voltaire, 544 p., 24€