Avec trois pièces japonaises ce mois-ci, le festival d’Automne offre un aperçu d’une création théâtrale particulièrement inventive.
Parmi les clichés qui collent à l’image du Japon, il y a le personnage de la geisha. Or cet incontournable des dépliants touristiques est paradoxalement en voie de disparition. Il n’en resterait aujourd’hui que deux cents, contre dix-sept mille dans les années 1980. Pour leur performance, Les dernières geishas, le documentariste Shingo Ota et la comédienne Kyoto Takenaka ont enquêté sur la réalité qui se cache derrière le mythe. Rappelons qu’à l’origine, les geishas étaient des hommes, c’est seulement à partir de 1750 que des femmes commencent à exercer cette profession. Nourris de rencontres avec des geishas – mot que l’on peut traduire en français par « personne qui pratique les arts » –, Shingo Ota et Kyoto Takenaka restituent dans Les dernières geishas l’enseignement qu’ils ont reçu en juxtaposant tradition et pratiques contemporaines sous la forme d’une performance mêlant gestuelle, jeu, texte, vidéo et musique interprétée sur scène. Par son interrogation sur la relation entre l’art contemporain et la transmission de cultures ancestrales, cette création est représentative de la tension qui existe au Japon entre tradition et modernité.
Avec ce qui est peut-être un paradoxe que l’art le plus actuel, le plus extrême, comme ont pu l’être certaines performances inspirées notamment des mouvements dada ou Fluxus, ne se présente jamais comme une remise en question de la tradition. C’est dans cet esprit que la dramaturge et metteuse en scène Satoko Ichihara envisage son spectacle, Yoroboshi : The Weakling, relecture du bunraku, théâtre traditionnel avec des marionnettes manipulées à vue par des officiants au visage dissimulé sous un capuchon comme s’ils étaient des ombres, accompagnés d’une narratrice et d’une musicienne. Conservant la présence de ces dernières sur le plateau, Satoko Ichihara s’inspire d’une légende, l’histoire d’un jeune garçon, Yoroboshi (« le faible »), devenu aveugle après avoir été abandonné par son père. Mêlant marionnettes et humains, son spectacle met en scène un univers particulièrement violent où se pose la question de la responsabilité des horreurs auxquelles sont confrontés les héros du drame. Est-ce les marionnettistes dont les visages ici sont visibles ? Ou est-ce la narratrice ? À travers ce vertigineux jeu de miroirs, Satoko Ichihara nous plonge dans un maelström à l’érotisme trouble où les pulsions les plus affolantes se donnent libre cours.
Loin de cette plongée dans les abîmes de l’inconscient The Window of Spaceship ‘In-Between’, création du dramaturge et metteur en scène Toshiki Okada, se présente au contraire comme une envolée loin de la planète à bord d’un vaisseau spatial. Le spectacle n’en est pas moins étrange puisqu’il nous embarque dans une traversée où un équipage composé de quatre humains et d’un androïde a pour mission d’exporter sa langue vers d’autres galaxies. Précisons que la langue en question est le japonais, mais qu’elle n’est pas la langue maternelle des occupants du vaisseau, même s’ils vivent tous au Japon. Sachant que ce pays est un archipel où habitent relativement peu d’étrangers, cette situation ne manque pas de sel. Il faut d’ailleurs tout l’humour de Toshiki Okada pour envoyer un tel équipage à la rencontre d’extraterrestres. Leur voyage entre nostalgie et questionnement sur l’identité devient ainsi une métaphore de la tension entre tentation du repli sur soi et ouverture sur l’autre. Ou comment habiter ensemble une planète désormais mondialisée.
The Window of Spaceship ‘In-Between’, de et par Toshiki Okada. Du 26 au 30 octobre à la Maison de la culture du Japon, Paris (75015).
Yoroboshi : The Weakling, de Satoko Ichihara. Du 7 au 11 novembre au Théâtre de Gennevilliers, Gennevilliers (92).
Les dernières geishas, de et par Shingo Ota Kyoto Takenaka. Du 15 au 19 novembre à la Maison de la culture du Japon, Paris (75015).