Avec Les Éphémères, l’écossais Andrew O’Hagan signe un roman poignant sur le temps qui passe et l’amitié qui résiste.

« Être jeune est une sorte de guerre dans laquelle le grand ennemi est l’expérience. » Gamin issu de la classe ouvrière, dans l’Écosse des années quatre-vingt où sévit le thatchérisme, le narrateur des Éphémèresest promis au même destin que les siens. Une poignée de rencontres va tout changer, et lui permettre de se tailler une existence qui lui ressemble. Une enseignante repère son goût des livres et comprend qu’il doit s’échapper. Surtout, l’amitié avec d’autres jeunes qui prennent autant au sérieux que lui le cinéma et la musique, va le transformer. Parmi eux, le flamboyant Tully. « Il avait ce truc qu’on les leaders, quand il était jeune, le cran du mec qui tient le devant de la scène, et quand nous nous retrouvions à quelques-uns, nous voulions aussitôt savoir où il était. Certaines personnes atteignent ce statut grâce au pouvoir ou à l’argent, mais Tully l’avait atteint grâce à son seul culot. » À l’initiative de Tully, le groupe d’amis effectue un voyage à Manchester, à la fin du lycée, pour assister à un festival de musique. La virée sera inoubliable. Mais le temps passe sans crier gare… « Danser était si naturel, avant. Parce que la musique vous définissait et que votre cœur battait en rythme. Puis cela vous quitte. Ou peut-être pas ? Les samedis soir changent et votre corps oublie les anciennes normes. Vous n’êtes plus dedans et vos pieds hésitent, vos bras restent le long du corps. Il est là quelque part, ce rythme facile venu d’autres salles et d’autres occasions, et vous êtes à moitié convaincu qu’il reviendra bientôt. Ce ne sont pas les mouvements – les mouvements sont là -, mais votre connexion à la musique est devenue nostalgique, de sorte que le corps ne répond pas à une découverte mais à un vieil et cher écho ».

Trente ans plus tard, Tully appelle le narrateur, avec une nouvelle impossible à ignorer. Il faudra être à la hauteur de l’amitié ardente de leur jeunesse. Il n’hésite pas à explorer par la fiction ce que veut dire vivre et mourir, à travers des personnages inoubliables. L’ellipse qui scinde le roman dit toute son ambition : attraper ces gouffres qui se creusent dans l’existence, le temps qui passe par surprise et avec une soudaineté qui déconcerte. Comment, à travers la fiction, dire la texture vaporeuse du temps, la permanence du souvenir et la brièveté de la vie ? Le narrateur vit son propre « bal de têtes » proustien : « Parmi les visages que je reconnaissais de notre passé, beaucoup étaient restés sensiblement les mêmes, mais d’autres avaient été complètement émoussés par la vie, comme si le temps les avait effacés petit à petit. » Mélancolique, poignant, mais aussi bouillonnant et porté par une immense vitalité, le roman d’Andrew O’Hagan questionne la fidélité à soi-même et aux autres. Puissant.

Les Ephémères, Andrew O’Hagan, traduit de l’anglais (Ecosse) par Céline Schwaller, Métailié, 286 p., 21,50€